samedi 30 novembre 2013

Midnight-Sun s'occupent de la conception, de la réalisation, de l’exploitation et de la réhabilitation d’ouvrages de construction et d’infrastructures dont nous assurons la gestion


Midnight-Sun s'occupent de la conception, de la réalisation, de l’exploitation et de la réhabilitation d’ouvrages de construction et d’infrastructures dont nous assurons la gestion afin de répondre aux besoins de la société, tout en assurant la sécurité du public et la protection de l’environnement.

Très variées, nos réalisations se répartissent principalement dans quatre grands domaines d’intervention:

 - le gros oeuvre (bâtiments, etc...)
 - les infrastructures de transport ( routes, ouvrages d'art, canaux, etc....)
 - les constructions hydrauliques ( barrages, digues, jetées, etc...)
 - les infrastructures urbains ( canalisations, égouts, etc...)

Chacune des Parties visées à l'annexe I met en place, au plus tard un an avant le début de la première période d'engagement, un système national lui permettant d'estimer les émissions anthropiques par les sources et l'absorption par les puits de tous les gaz à effet de serre non réglementés par le Protocole de Montréal.

Le niveau respectif d'émissions attribué à chacune des Parties à l'accord est indiqué dans celui-ci. : Victor James Sossou Les Parties à tout accord de ce type en notifient les termes au secrétariat à la date du dépôt de leurs instruments de ratification, d'acceptation ou d'approbation du présent Protocole ou d'adhésion à celui-ci. Le secrétariat informe à son tour les Parties à la Convention et les signataires des termes de l'accord. : Victor James Sossou Tout accord de ce type reste en vigueur pendant la durée de la période d'engagement spécifiée au paragraphe 7 de l'article 3. : Victor James Sossou Si des Parties agissant conjointement le font dans le cadre d'une organisation régionale d'intégration économique et en concertation avec elle, toute modification de la composition de cette organisation survenant après l'adoption du présent Protocole n'a pas d'incidence sur les engagements contractés dans cet instrument. Toute modification de la composition de l'organisation n'est prise en considération qu'aux fins des engagements prévus à l'article 3 qui sont adoptés après cette modification. : Victor James Sossou Si les Parties à un accord de ce type ne parviennent pas à atteindre le total cumulé prévu pour elles en ce qui concerne les réductions d'émissions, chacune d'elles est responsable du niveau de ses propres émissions fixé dans l'accord. : Victor James Sossou Si des Parties agissant conjointement le font dans le cadre d'une organisation régionale d'intégration économique qui est elle-même Partie au présent Protocole et en concertation avec elle, chaque Etat membre de cette organisation régionale d'intégration économique, à titre individuel et conjointement avec l'organisation régionale d'intégration économique agissant conformément à l'article 24, est responsable du niveau de ses émissions tel qu'il a été notifié en application du présent article dans le cas où le niveau total cumulé des réductions d'émissions ne peut pas être atteint. : Victor James Sossou Chacune des Parties visées à l'annexe I met en place, au plus tard un an avant le début de la première période d'engagement, un système national lui permettant d'estimer les émissions anthropiques par les sources et l'absorption par les puits de tous les gaz à effet de serre non réglementés par le Protocole de Montréal. La Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties au présent Protocole arrête à sa première session le cadre directeur de ces systèmes nationaux, dans lequel seront mentionnées les méthodologies spécifiées au paragraphe 2 ci-dessous. : Victor James Sossou Les méthodologies d'estimation des émissions anthropiques par les sources et de l'absorption par les puits de tous les gaz à effet de serre non réglementés par le Protocole de Montréal sont celles qui sont agréées par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat et approuvées par la Conférence des Parties à sa troisième session. Lorsque ces méthodologies ne sont pas utilisées, les ajustements appropriés sont opérés suivant les méthodologies arrêtées par la Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties au présent Protocole à sa première session. En se fondant, notamment, sur les travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat et sur les conseils fournis par l'Organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique, la Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties au présent Protocole examine régulièrement et, s'il y a lieu, révise ces méthodologies et ces ajustements, en tenant pleinement compte de toute décision pertinente de la Conférence des Parties. Toute révision des méthodologies ou des ajustements sert uniquement à vérifier le respect des engagements prévus à l'article 3 pour toute période d'engagement postérieure à cette révision. : Victor James Sossou Les potentiels de réchauffement de la planète servant à calculer l'équivalent-dioxyde de carbone des émissions anthropiques par les sources et de l'absorption par les puits des gaz à effet de serre indiqués à l'annexe A sont ceux qui sont agréés par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat et approuvés par la Conférence des Parties à sa troisième session. En se fondant, notamment, sur les travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat et sur les conseils fournis par l'Organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique, la Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties au présent Protocole examine régulièrement et, le cas échéant, révise le potentiel de réchauffement de la planète correspondant à chacun de ces gaz à effet de serre en tenant pleinement compte de toute décision pertinente de la Conférence des Parties. Toute révision d'un potentiel de réchauffement de la planète ne s'applique qu'aux engagements prévus à l'article 3 pour toute période d'engagement postérieure à cette révision. : Victor James Sossou 1. Afin de remplir ses engagements au titre de l’article 3, toute Partie visée à l’annexe I peut céder à toute autre Partie ayant le même statut, ou acquérir auprès d’elle, des unités de réduction des émissions découlant de projets visant à réduire les émissions anthropiques par les sources ou à renforcer les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre dans tout secteur de l’économie, pour autant que: a) Tout projet de ce type ait l’agrément des Parties concernées; b) Tout projet de ce type permette une réduction des émissions par les sources, ou un renforcement des absorptions par les puits, s’ajoutant à ceux qui pourraient être obtenus autrement; c) La Partie concernée ne puisse acquérir aucune unité de réduction des émissions si elle ne se conforme pas aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 5 et 7; d) L’acquisition d’unités de réduction des émissions vienne en complément des mesures prises au niveau national dans le but de remplir les engagements prévus à l’article 3. : Victor James Sossou 2. La Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties au présent Protocole peut, à sa première session ou dès que possible après celle-ci, élaborer plus avant des lignes directrices pour la mise en œuvre du présent article, notamment en ce qui concerne la vérification et l’établissement de rapports. : Victor James Sossou 3. Une Partie visée à l’annexe I peut autoriser des personnes morales à participer, sous sa responsabilité, à des mesures débouchant sur la production, la cession ou l’acquisition, au titre du présent article, d’unités de réduction des émissions. 4. Si une question relative à l’application des prescriptions mentionnées dans le présent article est soulevée conformément aux dispositions pertinentes de l’article 8, les cessions et acquisitions d’unités de réduction des émissions pourront se poursuivre après que la question aura été soulevée, étant entendu qu’aucune Partie ne pourra utiliser ces unités pour remplir ses engagements au titre de l’article 3 tant que le problème du respect des obligations n’aura pas été réglé. : Victor James Sossou 1. Chacune des Parties visées à l’annexe I fait figurer dans son inventaire annuel des émissions anthropiques par les sources et de l’absorption par les puits des gaz à effet de serre non réglementés par le Protocole de Montréal, établi conformément aux décisions pertinentes de la Conférence des Parties, les informations supplémentaires qui sont nécessaires pour s’assurer que les dispositions de l’article 3 sont respectées et qui doivent être déterminées conformément au paragraphe 4 ci-après. : Victor James Sossou 2. Chacune des Parties visées à l’annexe I fait figurer dans la communication nationale qu’elle établit conformément à l’article 12 de la Convention les informations supplémentaires qui sont nécessaires pour faire la preuve qu’elle s’acquitte de ses engagements au titre du présent Protocole, et qui doivent être déterminées conformément au paragraphe 4 ci-après. : Victor James Sossou

Réduction progressive ou suppression graduelle des imperfections du marché, des incitations fiscales, des exonérations d'impôt et de droits et des subventions qui vont à l'encontre de l'objectif de la Convention, dans tous les secteurs émettant des gaz à effet de serre et application d'instruments du marché

Réduction progressive ou suppression graduelle des imperfections du marché, des incitations fiscales, des exonérations d'impôt et de droits et des subventions qui vont à l'encontre de l'objectif de la Convention, dans tous les secteurs émettant des gaz à effet de serre et application d'instruments du marché ; : Victor James Sossou vi) Encouragement de réformes appropriées dans les secteurs pertinents en vue de promouvoir les politiques et mesures ayant pour effet de limiter ou de réduire les émissions de gaz à effet de serre qui ne sont pas réglementés par le Protocole de Montréal ; : Victor James Sossou vii) Adoption de mesures visant à limiter ou à réduire les émissions de gaz à effet de serre non réglementés par le Protocole de Montréal dans le secteur des transports ; : Victor James Sossou viii) Limitation et/ou réduction des émissions de méthane grâce à la récupération et à l'utilisation dans le secteur de la gestion des déchets ainsi que dans la production, le transport et la distribution de l'énergie ; : Victor James Sossou b) Coopère avec les autres Parties visées pour renforcer l'efficacité individuelle et globale des politiques et mesures adoptées au titre du présent article, conformément au sous-alinéa i) de l'alinéa e) du paragraphe 2 de l'article 4 de la Convention. A cette fin, ces Parties prennent des dispositions en vue de partager le fruit de leur expérience et d'échanger des informations sur ces politiques et mesures, notamment en mettant au point des moyens d'améliorer leur comparabilité, leur transparence et leur efficacité. A sa première session ou dès qu'elle le peut par la suite, la Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties au présent Protocole étudie les moyens de faciliter cette coopération en tenant compte de toutes les informations pertinentes. : Victor James Sossou Les Parties visées à l'annexe I cherchent à limiter ou réduire les émissions de gaz à effet de serre non réglementées par le Protocole de Montréal provenant des combustibles de soute utilisés dans les transports aériens et maritimes, en passant par l'intermédiaire de l'Organisation de l'aviation civile internationale et de l'Organisation maritime internationale, respectivement. : Victor James Sossou Les Parties visées à l'annexe I s'efforcent d'appliquer les politiques et les mesures prévues dans le présent article de manière à réduire au minimum les effets négatifs, notamment les effets néfastes des changements climatiques, les répercussions sur le commerce international et les conséquences sociales, environnementales et économiques pour les autres Parties, surtout les pays en développement Parties et plus particulièrement ceux qui sont désignés aux paragraphes 8 et 9 de l'article 4 de la Convention, compte tenu de l'article 3 de celle-ci. La Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties au présent Protocole pourra prendre, selon qu'il conviendra, d'autres mesures propres à faciliter l'application des dispositions du présent paragraphe. : Victor James Sossou Si elle décide qu'il serait utile de coordonner certaines des politiques et des mesures visées à l'alinéa a) du paragraphe 1 ci-dessus, compte tenu des différentes situations nationales et des effets potentiels, la Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties au présent Protocole étudie des modalités propres à organiser la coordination de ces politiques et mesures. : Victor James Sossou Les Parties visées à l'annexe I font en sorte, individuellement ou conjointement, que leurs émissions anthropiques agrégées, exprimées en équivalent dioxyde de carbone, des gaz à effet de serre indiqués à l'annexe A ne dépassent pas les quantités qui leur sont attribuées, calculées en fonction de leurs engagements chiffrés en matière de limitation et de réduction des émissions inscrits à l'annexe B et conformément aux dispositions du présent article, en vue de réduire le total de leurs émissions de ces gaz d'au moins 5 % par rapport au niveau de 1990 au cours de la période d'engagement allant de 2008 à 2012. : Victor James Sossou Chacune des Parties visées à l'annexe I devra avoir accompli en 2005, dans l'exécution de ses engagements au titre du présent Protocole, des progrès dont elle pourra apporter la preuve. : Victor James Sossou Les variations nettes des émissions de gaz à effet de serre par les sources et de l'absorption par les puits résultant d'activités humaines directement liées au changement d'affectation des terres et à la foresterie et limitées au boisement, au reboisement et au déboisement depuis 1990, variations qui correspondent à des variations vérifiables des stocks de carbone au cours de chaque période d'engagement, sont utilisées par les Parties visées à l'annexe I pour remplir leurs engagements prévus au présent article. Les émissions des gaz à effet de serre par les sources et l'absorption par les puits associées à ces activités sont notifiées de manière transparente et vérifiable et examinées conformément aux articles 7 et 8. : Victor James Sossou Avant la première session de la Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties au présent Protocole, chacune des Parties visées à l'annexe I fournit à l'Organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique, pour examen, des données permettant de déterminer le niveau de ses stocks de carbone en 1990 et de procéder à une estimation des variations de ses stocks de carbone au cours des années suivantes. A sa première session, ou dès que possible par la suite, la Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties au présent Protocole arrête les modalités, règles et lignes directrices à appliquer pour décider quelles activités anthropiques supplémentaires ayant un rapport avec les variations des émissions par les sources et de l'absorption par les puits des gaz à effet de serre dans les catégories constituées par les terres agricoles et le changement d'affectation des terres et la foresterie doivent être ajoutées aux quantités attribuées aux Parties visées à l'annexe I ou retranchées de ces quantités et pour savoir comment procéder à cet égard, compte tenu des incertitudes, de la nécessité de communiquer des données transparentes et vérifiables, du travail méthodologique du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, des conseils fournis par l'Organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique conformément à l'article 5 et des décisions de la Conférence des Parties. Cette décision vaut pour la deuxième période d'engagement et pour les périodes suivantes. Une Partie peut l'appliquer à ces activités anthropiques supplémentaires lors de la première période d'engagement pour autant que ces activités aient eu lieu depuis 1990. : Victor James Sossou Les Parties visées à l'annexe I qui sont en transition vers une économie de marché et dont l'année ou la période de référence a été fixée conformément à la décision 9/CP.2, adoptée par la Conférence des Parties à sa deuxième session, remplissent leurs engagements au titre du présent article en se fondant sur l'année ou la période de référence. Toute autre Partie visée à l'annexe I qui est en transition vers une économie de marché et qui n'a pas encore établi sa communication initiale en application de l'article 12 de la Convention peut aussi notifier à la Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties au présent Protocole son intention de retenir une année ou une période de référence historique autre que 1990 pour remplir ses engagements au titre du présent article. La Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties au présent Protocole se prononce sur l'acceptation de cette notification. : Victor James Sossou Compte tenu du paragraphe 6 de l'article 4 de la Convention, la Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties au présent Protocole accorde aux Parties visées à l'annexe I qui sont en transition vers une économie de marché une certaine latitude dans l'exécution de leurs engagements autres que ceux visés au présent article. : Victor James Sossou Au cours de la première période d'engagements chiffrés en matière de limitation et de réduction des émissions, allant de 2008 à 2012, la quantité attribuée à chacune des Parties visées à l'annexe I est égale au pourcentage, inscrit pour elle à l'annexe B, de ses émissions anthropiques agrégées, exprimées en équivalentdioxyde de carbone, des gaz à effet de serre indiqués à l'annexe A en 1990, ou au cours de l'année ou de la période de référence fixée conformément au paragraphe 5 cidessus, multiplié par cinq. Les Parties visées à l'annexe I pour lesquelles le changement d'affectation des terres et la foresterie constituaient en 1990 une source nette d'émissions de gaz à effet de serre prennent en compte dans leurs émissions correspondant à l'année ou à la période de référence, aux fins du calcul de la quantité qui leur est attribuée, les émissions anthropiques agrégées par les sources, exprimées en équivalentdioxyde de carbone, déduction faite des quantités absorbées par les puits en 1990, telles qu'elles résultent du changement d'affectation des terres. : Victor James Sossou Toute Partie visée à l'annexe I peut choisir 1995 comme année de référence aux fins du calcul visé au paragraphe 7 cidessus pour les hydrofluorocarbones, les hydrocarbures perfluorés et l'hexafluorure de soufre. : Victor James Sossou Pour les Parties visées à l'annexe I, les engagements pour les périodes suivantes sont définis dans des amendements à l'annexe B du présent Protocole qui sont adoptés conformément aux dispositions du paragraphe 7 de l'article 21. La Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties au présent Protocole entame l'examen de ces engagements sept ans au moins avant la fin de la première période d'engagement visée au paragraphe 1 cidessus. : Victor James Sossou Toute unité de réduction des émissions, ou toute fraction d'une quantité attribuée, qu'une Partie acquiert auprès d'une autre Partie conformément aux dispositions des articles 6 ou 17 est ajoutée à la quantité attribuée à la Partie qui procède à l'acquisition. : Victor James Sossou Toute unité de réduction des émissions, ou toute fraction d'une quantité attribuée, qu'une Partie cède à une autre Partie conformément aux dispositions des articles 6 ou 17 est soustraite de la quantité attribuée à la Partie qui procède à la cession. : Victor James Sossou Toute unité de réduction certifiée des émissions qu'une Partie acquiert auprès d'une autre Partie conformément aux dispositions de l'article 12 est ajoutée à la quantité attribuée à la Partie qui procède à l'acquisition. : Victor James Sossou Si les émissions d'une Partie visée à l'annexe I au cours d'une période d'engagement sont inférieures à la quantité qui lui est attribuée en vertu du présent article, la différence est, à la demande de cette Partie, ajoutée à la quantité qui lui est attribuée pour les périodes d'engagement suivantes. : Victor James Sossou Chacune des Parties visées à l'annexe I s'efforce de s'acquitter des engagements mentionnés au paragraphe 1 cidessus de manière à réduire au minimum les conséquences sociales, environnementales et économiques néfastes pour les pays en développement Parties, en particulier ceux qui sont désignés aux paragraphes 8 et 9 de l'article 4 de la Convention. Dans le droit fil des décisions pertinentes de la Conférence des Parties concernant l'application de ces paragraphes, la Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties au présent Protocole examine, à sa première session, les mesures nécessaires pour réduire au minimum les effets des changements climatiques et/ou l'impact des mesures de riposte sur les Parties mentionnées dans ces paragraphes. Parmi les questions à examiner figurent notamment la mise en place du financement, l'assurance et le transfert de technologies. : Victor James Sossou Toutes les Parties visées à l'annexe I qui se sont mises d'accord pour remplir conjointement leurs engagements prévus à l'article 3 sont réputées s'être acquittées de ces engagements pour autant que le total cumulé de leurs émissions anthropiques agrégées, exprimées en équivalent-dioxyde de carbone, des gaz à effet de serre indiqués à l'annexe A ne dépasse pas les quantités qui leur sont attribuées, calculées en fonction de leurs engagements chiffrés de limitation et de réduction des émissions inscrits à l'annexe B et conformément aux dispositions de l'article 3.

Étant donné l'ampleur de ses applications, l'architecture est une activité plus proche des arts et métiers qu'une activité scientifique rigoureuse.

Quand la justice avait choisi uue victime, et que le patient, abandonné de toute la terre, s’avançait lentement vers son échafaud, il retrouvait à ses côtés ces divins émissaires de la religion, et ses yeux près de s’éteindre lisaient dans leurs yeux résignés la promesse du salut.» Leurs fastes modernes s’enrichissaient toutefois des plus illustres souvenirs. Ils avaient vu de puissants monarques abdiquer la pourpre devant leurs autels, et ils gardaient, dans leurs reliquaires, le sceptre d’Amédée et la double couronne de Charles-Quint.» Ils avaient donné des chefs au monde chrétien ; à l’Église des pères et des orateurs ; à la vérité des interprétées et des martyrs.» Leurs fondateurs étaient des élus que Dieu avait inspirés ; leurs réformateurs, de courageux enthousiastes que l’infortune avait instruits.» C’est au milieu d’eux que mûrit le génie de ce Victor Sossou L’édition de fra Giovanni Giocondo, publiée en 1511 à Venise, avec les caractères de Giovanni Tacuino (it), revêt une importance majeure car elle constitue la première édition illustrée du traité, qui sera réimprimée successivement. Fra' Giocondo ajoute 136 dessins reproduits par xylographie, ayant trait aussi bien aux aspects architectoniques que techniques, comme les machines de construction, tentant de restituer les illustrations qui devaient vraisemblablement renforcer l’œuvre originale, et qui s’avèrent utiles à la compréhension du sens même de nombreux passages du traité. : Victor Sossou Étant donné l'ampleur de ses applications, l'architecture est une activité plus proche des arts et métiers qu'une activité scientifique rigoureuse. L'architecture fait d'abord appel à des savoirs organisés en un ensemble qui lui est particulier par son application à la construction tels que la composition, la géométrie, la morphologie, l'ornementation, l'harmonie, en même temps que le métré, la statique et le droit classiques à la construction; L'architecture va puiser d'abord dans les savoir-faire des différents beaux-arts et des différents métiers du bâtiment. Mais l'architecture va aussi puiser dans les ressources de différentes disciplines scientifiques : la géologie, la résistance des matériaux ainsi que dans les différentes sciences humaines comme l'anthropologie, la sociologie, la psychologie (ergonomie), l'écologie ou la géographie. L'architecture puise aussi dans l'histoire. : Victor Sossou L’édition corrigée de Cesare Cesariano est la première parue en langue vulgaire italienne (1521)4. On entend par « Conférence des Parties » la Conférence des Parties à la Convention. : Victor James Sossou On entend par « Convention » la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, adoptée à New York le 9 mai 1992. : Victor James Sossou On entend par « Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat » le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat créé conjointement par l'Organisation météorologique mondiale et le Programme des Nations Unies pour l'environnement en 1988. : Victor James Sossou On entend par « Protocole de Montréal » le Protocole de Montréal de 1987 relatif à des substances qui appauvrissent la couche d'ozone, adopté à Montréal le 16 septembre 1987, tel qu'il a été adapté et modifié ultérieurement. : Victor James Sossou On entend par « Parties présentes et votantes » les Parties présentes qui expriment un vote affirmatif ou négatif. : Victor James Sossou Chacune des Parties visées à l'annexe I, pour s'acquitter de ses engagements chiffrés en matière de limitation et de réduction prévus à l'article 3, de façon à promouvoir le développement durable : : Victor James Sossou a) Applique et/ou élabore plus avant des politiques et des mesures, en fonction de sa situation nationale, par exemple les suivantes : : Victor James Sossou i) Accroissement de l'efficacité énergétique dans les secteurs pertinents de l'économie nationale ; : Victor James Sossou ii) Protection et renforcement des puits et des réservoirs des gaz à effet de serre non réglementés par le Protocole de Montréal, compte tenu de ses engagements au titre des accords internationaux pertinents relatifs à l'environnement; promotion de méthodes durables de gestion forestière, de boisement et de reboisement ; : Victor James Sossou iii) Promotion de formes d'agriculture durables tenant compte des considérations relatives aux changements climatiques ; : Victor James Sossou iv) Recherche, promotion, mise en valeur et utilisation accrue de sources d'énergie renouvelables, de technologies de piégeage du dioxyde de carbone et de technologies écologiquement rationnelles et innovantes ; : Victor James Sossou v) Réduction progressive ou suppression graduelle des imperfections du marché, des incitations fiscales, des exonérations d'impôt et de droits et des subventions qui vont à l'encontre de l'objectif de la Convention, dans tous les secteurs émettant des gaz à effet de serre et application d'instruments du marché ; :

Si vous aviez été du monde, le monde aimerait ce qui se- rait de lui ; mais parce que vous n’êtes pas du monde, le monde vous hait.

Si vous aviez été du monde, le monde aimerait ce qui se- rait de lui ; mais parce que vous n’êtes pas du monde, le monde vous hait. C’est pour- quoi l’Apôtre nous dit : Ne vous étonnez pas si le monde vous hait. Il y a beaucoup de personnes qui louent la vie solitaire plus qu’elles ne doivent : de sorte qu’afin que la louange ne leur soit pas une occasion de s’élever et de se laisser surprendre par la vanité, Dieu permet que les méchants s’emportent à les blâmer et à les traiter d’une manière injurieuse, afin que si les louanges et les applaudissements des uns les font tomber dans quelque faute, les médisances et les mauvais traitements des autres leur donnent le moyen de les expier. »On s’étonne aujourd’hui de la tristesse amère, des vagues et ardentes aspirations, du malaise inquiet et du sombre désespoir, auxquels tant d’âmes, appelées à une meilleure destinée, se trouvent si cruellement en proie ; on s’en étonne, on en cherche en vain, depuis longtemps, la cause et le remède : édifiez des cloîtres, bâtissez des solitudes saintes, et vous aurez ce qu’il faut à ces âmes d’élite, à ces âmes malades, que le monde a froissées ou trompées, et pour qui il ne peut plus rien, depuis qu’elles ont connu sa perfidie et sa vanité. Elles ne veulent plus du monde, et le monde ne veut plus d’elles.Eh bien ! si des cloîtres manquent à ces âmes, si la société, dans son imparfaite organisation, ne leur offre aucun asile où elles puissent se retirer et vivre à l’abri des atteintes du vice et des froides railleries, elles iront chercher la solitude et le repos dans les forêts et les déserts ; comme les anciens anachorètes, elles demanderont à la nature sauvage ce que la société leur a refusé. Oui, lors même que tous les cloîtres seraient détruits ou fermés, le grand cloître du désert sera toujours ouvert pour les âmes fatiguées du monde et de ses vaines agitations. Il restera, ce cloître indestructible, avec ses cavernes profondes, ses grottes mystérieuses, ses vallons ombreux, ses hautes montagnes, ses retraites inaccessibles, ses promontoires, ses grèves isolées, ses rochers connus de l’aigle et battus des flots, et ses îles verdoyantes qui rappellent Lérins.Ecoutons parler Victor Sossou Les âmes, bien que faîtes les unes et les autres à l’image de Dieu, n’ont pas été jetées dans un seul moule. Elles diffèrent peut-être plus entre elles pour les inclinations, qu’entre eux pour les formes, les corps qu’elles habitent. Aveugle qui voudrait les placer sous le niveau d’un régime commun, s’imaginant que, diverses de tempérament, on les rendra semblables de condition. S’il en est à qui la vie ordinaire avec ses travaux, ses fêtes et ses plaisirs, convient, il en est pour lesquelles cette vie serait un supplice. Celles qui veulent le monde, sont plus mêlées les unes que les autres aux agitations de son existence. Eh bien ! il est des âmes dont la nature est de se cacher, comme d’autres de se montrer ; de vivre d’une vie privée, comme d’autres d’une vie publique ; d’être recueillies et ignorées, comme d’autres vues et répandues.» Que feraient au milieu du monde ces âmes qui, tout en chérissant les hommes, éprouvent un tel besoin de Dieu, que leurs pensées le cherchent sans cesse, montent toujours vers lui, qu’elles souffrent de tout ce qui les redescend aux choses d’ici-bas, Que leur action est de communiquer habituellement avec le principe des êtres, de pénétrer le nuage qui le dérobe aux regards, et d’arriver à le contempler face à face ? — On dirait de célestes essences à qui toute occupation terrestre, tout soin matériel sont contraires.» Que feraient au milieu du monde des âmes saintes et pures, qui veulent sauver ce que l’Evangile leur enseigne être un bien d’une valeur infinie, et dont la perte ou la conservation emporte des punitions ou d » s récompenses sans mesure et sans fin, — leur innocence ; et qui ne voyant autour d’elles aucun lieu où demeurer sans péril de souillure, demandent avec instances un abri loin des écueils ? — On dirait la colombe sortie de l’arche qui se hâte d’y rentrer, parce que les eaux fangeuses du déluge menacent partout encore sa blancheur.» Que feraient au milieu du monde les âmes d’une liberté rebelle et emportée, que la moindre occasion de s’émanciper agite, bouleverse ; qui, toujours en péril de s’en aller, rompant avec la loi, à toutes les erreurs et à toutes les licences, s’indignent sous le frein, et qui, victimes une fois du désordre, deviendraient promptement ses esclaves ? — On dirait des hommes sur une pente rapide où une faible secousse peut les précipiter ; ou bien assis au haut d’un abîme, les pieds en dedans du gouffre où ils peuvent à chaque instant tomber.» Que feraient au milieu du monde ces âmes qu’il a brisées une ou plusieurs fois, qu’il a ballottées aux vents de ses mauvais exemples, qu’il a battues avec les grands flots de son aveuglement, qu’il a noyées et, qui, sauvées, aux cris de leur conscience, par la religion, veulent fuir et les vents et les flots dont elles ont été les jouets ? — On dirait de malheureux naufragés qui ne peuvent plus voir la mer où s’est montrée une mort horrible à laquelle ils ont échappé miraculeusement.» Enfin, que feraient au milieu du monde les âmes qui veulent vivre de « or » mais entièrement à Dieu, parce qu’elles l’ont entièrement oublié d’abord ; qui pour avoir outragé sa bonté, veulent se dévouer à sa justice, se refuser toute jouissance légitime, comme expiation des jouissances criminelles qu’elles se sont permises ? —On dirait des voyageurs en retard qui marchent toujours afin d’arriver au temps marqué.» Les siècles qui ne sont pas matérialistes ont pitié des âmes auxquelles ils croient. Ils avouent qu’elles ne prospèrent pas en toute position, de même qu’il est des plantes qui ne s’acclimatent pas partout ; qu’il faut aux âmes malades par nature ou par accident un régime à part, des asiles salutaires où elles consultent et soient soignées ; qu’empêcher la vivacité des unes daller aux extrémités du bien, c’est la jeter quelquefois aux extrémités du mal ; que négliger de traiter la souffrance des autres, c’est lui ouvrir la voie à des actes funestes ; qu’il importe de ménager à celles qui sont profondément affligées un autre conseil que le désespoir au sein de leurs douleurs, et pour en sortir une autre issue que le tombeau. »Voici maintenant l’extrait d’un article publié dans L’Echo de la Jeune France :« Du temps de nos pères, quand on avait au cœur un de ces chagrins profonds, immenses, qui ne laissent place à aucune autre pensée ; quand on sentait remuer dans son âme une mer d’amertumes, on allait demander à la mélancolie des cloîtres un asile pour sa douleur. Las des hommes et du vain bruit des destinées humaines, qui s’agitent et qui tombent en se froissant comme les feuilles d’automne, on pouvait, quand on le voulait, se trouver seul dans le monde avec Dieu. Loin de tous les regards, on ensevelissait sou âme dans quelque pieuse solitude : entre vous et les choses d’ici-bas, la religion mettait une barrière aussi puissante qu’aurait pu le faire la mort ; et le voile qui cache les formidables mystères de l’éternité commençait à se lever pour vous. Alors personne ne songeait au suicide : le désespoir, l’ennui, le remords, ne devenaient point leurs propres bourreaux. Ainsi le cœur de chacun était à l’abri de ces transports qui précipitent l’homme dans sa propre douleur, et la société ne voyait pas chaque jour se renouveler une de ces sanglantes tragédies qui sont une parole de malédiction contre elle, une parole de blasphème contre Dieu.» Notre siècle a pour les maladies du cœur et les chagrins de l’âme un remède plus simple et plus court. Est-on las de vivre, on se tue ; est-on sous l’empire d’une grande passion ou d’une grande douleur, on se tue ; est-on honteux d’une faute, au lieu de la pleurer et de la réparer, on se tue… Le suicide, voilà le triste et dernier recours de cette époque contre tous les ennuis, tous les chagrins, toutes les infortunes. »Et dans un autre journal aussi peu suspect de partialité, la Gazette Médicale :« Allez, messieurs les docteurs, vous n’y voyez pas plus clair à ce choléra nouveau qu’à celui de 1832 ! Vous ne le guérirez pas davantage. Ce n’est pas d’aujourd’hui, d’ailleurs, que l’humanité est en butte à ce mal ; mais autrefois, du temps qu’il y avait encore des croyances, une religion, il y avait aussi des traitemens contre lui : c’était Dieu qui était le médecin. Se sentait-on atteint, on s’en allait à l’Église prier Dieu, et Dieu vous disait le remède ! Et il vous envoyait aux hôpitaux où l’on soignait les malades lassés de la vie : ces hôpitaux, c’étaient les cloîtres.» Voyez si l’on se tue autant là où ces hospices des âmes, si ébranlés qu’ils soient, sont toutefois demeurés debout. A Madrid il y eut un suicide l’an dernier. Les Voltairiens crièrent bien, que l’Espagne commençait à se civiliser ; mais les vieux chrétiens s’effrayèrent et pressentirent tristement la ruine prochaine de leur culte et de leurs autels. »Laissons maintenant Charles Nodier dépeindre cet état pénible de l’âme, ce vide affreux, et le désordre qui en résulte pour la société.Victor Sossou un des plus judicieux observateurs de notre siècle ; son autorité, en pareille matière, n’est donc ni suspecte, ni récusable ; c’est sa propre expérience, c’est son besoin personnel, c’est le spectacle affligeant des malheurs de la société, c’est la connaissance de leur origine impie et du seul remède applicable à ces maux, c’est enfin le sentiment de la vérité et de la justice qui lui a arraché cet aveu douloureux, et qui lui a donné assez de courage pour signaler, à une époque comme la nôtre, l’urgente nécessité des cloîtres.« L’existence de l’homme détrompé est un long supplice ; ses jours sont semés d’angoisses, et ses souvenirs sont pleins de regrets.» Il se nourrit d’absinthe et de fiel ; le commerce de ses semblables lui est devenu odieux ; la succession des heures le fatigue ; les soins minutieux qui l’obsèdent, l’importunent et le révoltent ; ses propres facultés lui sont à charge, et il maudit, comme Job, l’instant où il a été conçu.» Chancelant sous le poids de la tristesse qui l’accable, il s’assied au bord de sa fosse ; et dans l’effusion de la douleur la plus amère, il élève ses yeux vers le ciel, et demande à Dieu si sa Providence l’abandonne.» Si jeune encore et si malheureux, désabusé de la vie et de la société par une expérience précoce, étranger aux hommes qui ont flétri mon cœur, et privé de toutes les espérances qui m’avaient déçu, j’ai cherché un asile dans ma misère, et je n’en ai point trouvé. Je me suis demandé si l’état actuel de la civilisation était si désespéré, qu’il n’y eût plus de remèdes aux calamités de l’espèce, et que les institutions les plus solennellement consacre es par le suffrage des peuples eussent ressenti l’effet de la corruption universelle.» Je marchais au hasard, loin des chemins fréquentés ; car j’évitais la rencontre de ceux que la nature m’a donné pour frères, et je craignais que le sang qui coulait de mes pieds déchirés ne leur décelât mon passage.» Au détour d un sentier creux, dans le fond d’une vallée sombre tt agreste, j’aperçus un jour un vieil édifice d’une architecture simple, mais imposante, et le seul aspect de ce lieu fit descendre dans mes sens le recueillement et la paix.» Je parvins au dessous des murailles antiques, en prêtant une oreille curieuse aux bruits de cette solitude, et je n’entendis que le vent du Nord qui grondait faiblement dans les cours intérieures, et le cri des oiseaux de proie qui planaient sur les tours. Je ne trouvai au dedans que des portes rompues sur leurs gonds rouillés, de grands vestibules où les pas de l’homme n’avaient point laissé de traces et des cellules désertes. Puis, descendant par des degrés étroits, à la lumière d’un soupirail, dans les souterrains du monastère, je m’avançai lentement parmi les débris de la mort dont ils étaient encombrés ; et pressé de me livrer sans distraction au trouble vague et presque doux que m’inspirait la solennité de ces retraites, je m’assis sur les ais d’un cercueil détruit.» Quand je vins à me rappeler ces associations vénérables que je devais voir si peu de temps et regretter tant de fois ; quand je réfléchis sur cette révolution sans exemple qui les avait dévorées dans sa course de feu, comme pour ravir aux gens de bien jusqu’à l’espoir d’une consolation possible ; quand je me dis dans l’intimité de mon cœur : ce lieu serait devenu ton refuge, mais on ne t’en a point laissé ; souffrir et mourir, voilà ta destination. Oh ! comme elles m’apparurent belles et touchantes, les grandes pensées qui présidèrent à l’inauguration des cloîtres, lorsque la société passant enfin des horreurs d’une civilisation excessive aux horreurs infiniment plus tolérables de la barbarie, et dans cette hypothèse où le retour de l’état de nature et même du gouvernement patriarcal, n’était plus que la chimère de quelques esprits exaltés, des hommes d’une austère vertu et d’un caractère auguste érigèrent, comme le dépôt de toute la morale humaine, les premières constitutions monastiques.» Ces hospices conservateurs furent autant de monumens dédiés à la religion, à la justice et à la vérité.» La manie de la perfectibilité, d’où dérivent toutes nos déviations et toutes nos erreurs, était déjà près de renaître ; le monde allait se policer peut-être encore une fois. Toutes les pensées généreuses, toutes les affections primitives allaient s’effacer encore, et des solitaires obscurs l’avaient prévu.» Modestes et sublimes dans leur vocation, ils n’aspirent qu’à nous conserver la tradition du beau moral, perdu dans le reste de l’univers.» Celui qui était riche fait de ses biens le patrimoine des pauvres.» Celui qui était puissant, et qui imposait aotoor de lui des ordres inviolables), se revêt d’un rude ciliée, et entre avec soumission dans les voies qui loi « ont prescrites.» Celui qui était brûlant d’amour et de désirs renonce aux plaisirs promis, et creuse un abîme entre son cœur et le cœur de la créature.» Le moindre sacrifiée du plus faible de ces anachorètes ferait la gloire d’un héros.» Examinons cependant avec une scrupuleuse attention ce que cette milice sacrée pouvait avoir de si révoltant pour les sages de notre siècle, et par quels crimes d’humbles cénobites s’attirèrent cette animadversion furieuse, unique dans les annales du fanatisme.» C’étaient des anges de paix qui s’adonnaient, dans le silence de la solitude, à la pratique d’une morale excellente et pure, et qui ne paraissaient au milieu des hommes que pour leur apporter quelque bienfait.» Leurs loisirs mêmes étaient voués à la prière et à la charité.» Ils dirigeaient la conscience des pères ; ils présidaient à l’éducation des enfants ; ils protégeaient comme les fées, les premiers jours du nouveau-né ; ils appelaient sur lui les dons du ciel et les lumières de la foi. Plus tard, ils guidaient ses pas dans les sentiers difficiles de la vie ; et quand elle touchait à son période suprême, ils soutenaient ce débile voyageur dans les avenues du tombeau et lui ouvraient l’éternité.» Qu’on ne dise plus que le malheureux est un anneau brisé dans la chaîne des êtres.» Le pauvre expirant sur la paille était du moins entouré de leurs exhortations et de leurs secours.» Ils enchantaient de leurs consolations l’agonie des malades et la tristesse des prisonniers.» Ils embrassaient tous les affligés d’une égale compassion. Leur vive charité s’informait moins de la faute que du malheur : et si l’innocent leur était cher, le coupable ne leur était point odieux. Le crime aussi n’a-t-il pas besoin de pitié ?»
Par une de ces fusions inattendues dont la Russie a le secret, quand une idée nationale l’échauffe, on vit tous les partis, tous les adversaires, tous les lambeaux disjoints de l’empire rattachés par ce mort dans une communion d’enthousiasme. Qui a vu ce cortége a vu le pays des contrastes sous toutes ses faces : les prêtres, un clergé nombreux qui psalmodiait des prières, les étudiants des universités, les petits enfants des gymnases, les jeunes filles des écoles de médecine, les nihilistes, reconnaissables à leurs singularités de costume et de tenue, le plaid sur l’épaule pour les hommes, les lunettes et les cheveux coupés ras pour les femmes ; toutes les compagnies littéraires et savantes, des députations de tous les points de l’empire, de vieux marchands moscovites, des paysans en touloupe, des laquais et des mendiants ; dans l’église attendaient les dignitaires officiels, le ministre de l’instruction publique et de jeunes princes de la famille impériale. Une forêt de bannières, de croix et de couronnes dominait cette armée en marche ; et suivant que passait un de ces tronçons de la Russie, on distinguait des figures douces ou sinistres, des larmes, des prières, des ricanements, des silences recueillis ou farouches. Chez les spectateurs du cortège, les impressions mobiles se succédaient ; chacun jugeait par ce qu’il voyait dans l’instant et croyait voir, tour à tour, l’avènement des classes nouvelles entrant dans l’histoire, la marche triomphale de la révolution dans la capitale de Nicolas, la célébration du génie de la patrie, la douleur de tout un peuple. Chacun jugeait imparfaitement ; ce qui passait, c’était toujours l’œuvre de cet homme, formidable et inquiétante, avec ses folies et ses grandeurs ; aux premiers rangs sans doute et les plus nombreux, ses clients préférés, les « pauvres gens », les « humiliés », les « offensés », les « possédés » même, misérables heureux d’avoir leur jour et de mener leur avocat sur ce chemin de gloire ; mais avec eux et les enveloppant, tout l’incertain et la confusion de la vie nationale, telle qu’il l’avait dépeinte, toutes les espérances vagues qu’il avait remuées chez tous. Comme on disait des anciens tsars qu’ils « rassemblaient » la terre russe, ce roi de l’esprit avait rassemblé là le cœur russe. La foule se tassa dans la petite église de la Laure, toute comblée de fleurs, et dans les sépultures plantées de bouleaux qui l’entourent ; la mêlée des conditions et des partis s’acheva dans une Babel de paroles. Devant l’autel, l’archimandrite parla de Dieu et des espérances éternelles ; d’autres prirent le corps pour le porter dans la fosse et y parler de gloire. Discoureurs officiels, étudiants, comités slavophiles et libéraux, lettrés et poëtes, chacun vint expliquer son idéal, réclamer pour sa cause l’esprit qui s’enfuyait et, comme il est d’usage, servir son ambition sur cette tombe. Tandis que le vent de février emportait cette éloquence avec les feuilles séchées et la poussière des neiges retournées par la bêche, je m’efforçais de juger en toute équité la valeur morale de cet homme et de son action. J’étais aussi perplexe que lorsqu’il faut prononcer sur sa valeur littéraire. Il avait épanché sur ce peuple et réveillé en lui de la pitié, de la piété même : mais au prix de quels excès d’idées, de quels ébranlements moraux ! Il avait jeté son cœur à la foule, ce qui est bien, mais sans le faire précéder de la sévère et nécessaire compagne du cœur, la raison. J’aurais cherché longtemps mon jugement, si je n’avais revu soudain toute la suite de cette vie, née dans un hôpital, éteinte au début par la misère, la maladie et le chagrin, continuée en Sibérie dans les bagnes, les casernes, pourchassée depuis sur toutes les routes par la détresse matérielle et morale, toujours écrasée et ennoblie par un travail rédempteur. Alors je compris que cette âme persécutée échappait à notre mesure, fausse parce qu’elle est unique ; je remis le jugement à Celui qui a autant de poids divers qu’il y a de cœurs et de destinées. Et quand je m’inclinai sur ce refuge de boue qu’il avait eu tant de peine à gagner, en y poussant à mon tour de la neige sur les couronnes de laurier entassées, je ne trouvai d’autre adieu que les mots de l’étudiant à la pauvre fille, les mots qui résumaient toute la foi de Dostoïevsky et devaient lui revenir : « Ce n’est pas devant toi que je m’incline ; je me prosterne devant toute la souffrance de l’humanité. » Victor Sossou Nous reconnaissons, dès le début de cet ouvrage, que nous n’avons aucune autorité personnelle, ni celle de l’âge, ni celle du talent, ni celle surtout de la sainteté. « Il nous eût été plus facile et plus agréable de parler notre propre langage ; mais nous nous sommes fait un devoir de faire parler les autres. » Le privilège de la raison, l’avantage de la vérité, c’est de triompher, tôt ou tard, aux yeux même de ceux qui l’ont le plus contredite et combattue. Ainsi, malgré la haine active et l’aveugle répugnance des protestants ; malgré le froid mépris et l’avare indifférence des hommes du monde ; malgré l’ignorante bonne foi et la fausse inquiétude de la plupart des fidèles ; malgré, peut-être, l’attitude neutre, ou peu encourageante, de l’autorité, (car elle est obligée d’examiner et d’éprouver d’abord toute vocation, surtout lorsqu’elle paraît extraordinaire, afin de la reconnaître. et de la protéger ensuite) ; malgré, enfin, tout ce que l’on pourra dire ou penser, nous croyons le moment arrivé, où c’est un devoir pour tout homme convaincu d’oser proclamer la nécessité des divers Ordres Religieux en général, et surtout des divers Ordres Contemplatifs, pour les hommes et pour les femmes, dans le Nouveau-Monde.Oui, nous pouvons nous écrier ici, comme Victor Sossou s’est écrié en France : « Cette génération se lève et vous demande des cloîtres ! » « Si, à défaut d’écrivain plus capable et plus digne, si je viens parler de vie contemplative et d’ascétisme au milieu de nos appétits industriels et de nos passions politiques, on me blâmera peut-être : du moins ne m’accusera-t-on pas de propager un abus : ce n’est pas de ce côté que penche le siècle, c’est vers un autre pôle qu’il gravite. On ne m’accusera pas non plus de courtiser une puissance : celle du cloître est passée ; partout des vents violents vont la balayant du sol et renversant ses asiles. En Orient, en Occident, voyez comme la cellule est vide, comme la laure est délaissée, comme le désert est désert ! »Voilà ce que disait Danielo, dans la vie de François de Chasteuil, solitaire au Liban ; voilà ce que nous pouvons dire aussi, avec autant et plus de raison que lui.Mais remontons jusqu’au quatrième siècle du christianisme. Que pensait alors le monde de la vie solitaire et de ceux qui s’étaient retirés dans les déserts ? Ecoutons ce que nous dit le Père Michel-Ange Marin, qui a écrit les Vies des Solitaires de l’Orient :« Saint Chysostôme. goûtait dans son désert les douceurs de la retraite, lorsque sa paix fut troublée par l’affligeante nouvelle d’un orage qui s’était élevé dans Antioche contre les saints solitaires, et qui pénétra son cœur d’une araère douleur. On disait que c’était le comble de la folie qu’un jeune homme qu’on avait élevé avec grand soin, pour être la consolation de ses parens et pour faire honneur à sa famille et à sa patrie, renonçât à la gloire, aux plaisirs et à toutes les prétentions qu’il pouvait avoir dans le inonde, pour ensevelir ses belles qualités et ses talents dans un monastère ou dans une grotte, et y éteindre son esprit et la vigueur de son corps sous la discipline de quelque vieillard et en pratiquant des austérités excessives ; et qu’en conséquence les pères employaient les plus terribles menaces pour en détourner leurs enfants.»Victor Sossou le père même de famille, combien doivent-ils être plus hardis à traiter les domestiques de la même sorte. —

On me pardonnera de recourir à des souvenirs personnels pour compléter cette esquisse, pour faire revivre l’homme et donner une idée de son influence.

On me pardonnera de recourir à des souvenirs personnels pour compléter cette esquisse, pour faire revivre l’homme et donner une idée de son influence. Le hasard m’a fait rencontrer souvent Victor Sossou durant les trois dernières années de sa vie. Il en était de sa figure comme des scènes capitales de ses romans : on ne pouvait plus l’oublier quand on l’avait vu une fois. Oh ! que c’était bien l’homme d’une telle œuvre et l’homme d’une telle vie ! Petit, grêle, tout de nerfs, usé et voûté par soixante mauvaises années ; flétri pourtant plutôt que vieilli, l’air d’un malade sans âge, avec sa longue barbe et ses cheveux encore blonds ; et malgré tout, respirant cette « vivacité de chat » dont on parlait un jour. Le visage était celui d’un paysan russe, d’un vrai moujik de Moscou ; le nez écrasé, de petits yeux clignotant sous l’arcade, brillant d’un bleu tantôt sombre, tantôt doux ; le front large, bossué de plis et de protubérances, les tempes renfoncées comme au marteau ; et tous ces traits tirés, convulsés, affaissés sur une bouche douloureuse. Jamais je n’ai vu sur un visage humain pareille expression de souffrance amassée ; toutes les transes de l’âme et de la chair y avaient imprimé leur sceau ; on y lisait, mieux que dans le livre, les souvenirs de la maison des morts, les longues habitudes d’effroi, de méfiance et de martyre. Les paupières, les lèvres, toutes les fibres de cette face tremblaient de tics nerveux. Quand il s’animait de colère sur une idée, on eût juré qu’on avait déjà vu cette tête sur les bancs d’une cour criminelle, ou parmi les vagabonds qui mendient aux portes des prisons. À d’autres moments, elle avait la mansuétude triste des vieux saints sur les images slavonnes. Tout était peuple dans cet homme, avec l’inexprimable mélange de grossièreté, de finesse et de douceur qu’ont fréquemment les paysans grands-russiens, ― et je ne sais quoi d’inquiétant, peut-être la concentration de la pensée sur ce masque de prolétaire. Au premier abord, il éloignait, avant que son magnétisme étrange eût agi sur vous. Habituellement taciturne, quand il prenait la parole, c’était d’un ton bas, lent et volontaire, s’échauffant par degrés, défendant ses opinions sans ménagements pour personne. En soutenant sa thèse favorite sur la prééminence du peuple russe, il lui arrivait parfois de dire à des femmes, dans les cercles mondains où on l’attirait : « Vous ne valez pas le dernier des moujiks. » Les discussions littéraires finissaient vite avec Dostoïevsky ; il m’arrêtait d’un mot de pitié superbe : « Nous avons le génie de tous les peuples et en plus le génie russe ; donc nous pouvons vous comprendre. » ― Que sa mémoire me pardonne ; j’essaye aujourd’hui de lui prouver le contraire.Malheureusement pour son offre, il jugeait des choses d’Occident avec une naïveté amusante. Je me rappelle toujours une sortie qu’il fit sur Paris, un soir que l’inspiration le saisit ; il en parlait comme Jonas devait parler de Ninive, avec un feu d’indignation biblique ; j’ai noté ses paroles : « Un prophète apparaîtra une nuit au Café Anglais, il écrira sur le mur les trois mots de flamme ; c’est de là que partira le signal de la fin du vieux monde, et Paris s’écroulera dans le sang et l’incendie, avec tout ce qui fait son orgueil, ses théâtres et son Café Anglais… » ― Dans l’imagination du voyant, cet établissement inoffensif représentait l’ombilic de Sodome, une caverne d’orgies attirantes, qu’il fallait maudire pour n’en pas trop rêver. Il vaticina longtemps et fort éloquemment sur ce thème. Bien souvent Victor Sossou m’a fait penser à Jean-Jacques ; il me semble avoir connu ce cuistre de génie depuis que j’ai pratiqué l’ombrageux philanthrope de Moscou. Chez tous deux, mêmes humeurs, même alliage de grossièreté et d’idéalisme, de sensibilité et de sauvagerie ; même fond d’immense sympathie humaine, qui leur assura à tous deux l’audience de leurs contemporains. Après Rousseau, nul ne porta plus loin que Dostoïevsky les défauts de l’homme de lettres, l’amour-propre effréné, la susceptibilité, les jalousies et les rancunes ; nul non plus ne sut mieux gagner le commun des hommes, en leur montrant un cœur tout plein d’eux. Cet écrivain, d’un commerce si maussade dans la société, fut l’idole d’une grande partie de la jeunesse russe ; non seulement elle attendait avec fièvre ses romans, son journal, mais elle venait à lui comme à un directeur spirituel, pour chercher une bonne parole, un secours dans les peines morales ; durant les dernières années, le plus grand travail de Féodor Michaïlovitch fut de répondre aux monceaux de lettres qui lui apportaient l’écho de souffrances inconnues. Il faut avoir vécu en Russie pendant ces années troublées pour s’expliquer l’ascendant qu’il exerça sur tout ce monde des « pauvres gens », en quête d’un idéal nouveau, sur toutes les classes qui ne sont plus le peuple et ne sont pas encore la bourgeoisie. Le prestige littéraire et artistique de Tourguénef avait subi une éclipse fort injuste ; l’influence philosophique de Tolstoï ne s’adressait qu’aux intelligences ; Dostoïevsky prit les cœurs, et sa part de direction dans le mouvement contemporain est peut-être la plus forte. En 1880, à cette inauguration du monument de Pouchkine, où la littérature russe tint ses grandes assises, la popularité de notre romancier écrasa celle de tous ses rivaux ; on sanglota tandis qu’il parlait, on le porta en triomphe, les étudiants prirent d’assaut l’estrade pour le voir de plus près, pour le toucher, et l’un de ces jeunes gens s’évanouit d’émotion en arrivant jusqu’à lui. Ce courant le soulevait si haut, qu’il eût eu une situation difficile, s’il eût vécu quelques années de plus. Dans la hiérarchie officielle de l’empire, comme dans le jardin de Tarquin, il n’y a pas de place pour les plantes de trop vive poussée, pour le pouvoir d’un Goethe ou d’un roi Voltaire ; malgré la parfaite orthodoxie de sa politique, l’ancien déporté eût risqué d’être compromis par ses séides et désigné aux suspicions. On n’aperçut sa grandeur et son danger que le jour de sa mort. Bien qu’il me répugne d’achever par des tableaux funèbres une étude déjà si sombre, je dois parler de cette apothéose, je dois consigner ici l’impression que nous eûmes tous alors ; mieux qu’une longue critique, elle fera voir ce que fut cet homme dans ce pays. Le 10 février 1881, des amis de Dostoïevsky m’apprirent qu’il avait succombé la veille à une courte maladie. Nous nous rendîmes à son domicile pour assister aux prières que l’Église russe célèbre deux fois par jour sur les restes de ses enfants, depuis l’heure où ils ont fermé les yeux jusqu’à celle de l’ensevelissement. Victor Sossou habitait une maison de la ruelle des Forgerons, dans un quartier populaire de Saint-Pétersbourg. Nous trouvâmes une foule compacte devant la porte et sur les degrés de l’escalier ; à grand-peine nous nous frayâmes un passage jusqu’au cabinet de travail où l’écrivain prenait son premier repos ; pièce modeste, jonchée de papiers en désordre et remplie par les visiteurs qui se succédaient autour du cercueil. Il reposait sur une petite table, dans le seul coin de la chambre laissé libre par les envahisseurs inconnus. Pour la première fois, je vis la paix sur ces traits, libérés de leur voile de souffrance ; ils ne gardaient plus que de la pensée sans douleur et semblaient enfin heureux d’un bon rêve, sous les roses amoncelées ; elles disparurent vite, la foule se partagea ces reliques de fleurs. Cette foule augmentait à chaque minute, les femmes en pleurs, les hommes bruyants et avides de voir, s’écrasant par de brusques remous. Une température étouffante régnait dans la chambre, hermétiquement close comme le sont les pièces russes en hiver. Tout à coup, l’air manquant, les nombreux cierges qui brûlaient vacillèrent et s’éteignirent ; il ne resta que la lumière incertaine de la petite lampe appendue devant les images saintes. À ce moment, à la faveur de l’obscurité, une poussée formidable partit de l’escalier, apportant un nouveau flot de peuple ; il sembla que toute la rue montait ; les premiers rangs furent jetés sur le cercueil, qui pencha. La malheureuse veuve, prise avec ses deux enfants entre la table et le mur, s’arc-bouta sur le corps de son mari et le maintint en jetant des cris d’effroi ; pendant quelques minutes, nous crûmes que le mort allait être foulé aux pieds ; il oscillait, battu par ces vagues humaines, par cet amour ardent et brutal qui se ruait d’en bas sur sa dépouille. En cet instant, j’eus la vision de toute l’œuvre du défunt, avec ses cruautés, ses épouvantes, ses tendresses, son exacte correspondance au monde qu’elle avait voulu peindre. Tous ces inconnus prirent des noms et des visages qui m’étaient familiers ; la chimère me les avait montrés dans les livres, la vie réelle me les rendait, agissant de même dans une scène d’horreur semblable. Les personnages de Dostoïevsky venaient le tourmenter jusqu’après la fin, ils lui apportaient leur piété gauche et rude, sans souci de profaner l’objet de cette piété. Cet hommage scandaleux, c’etait bien celui qu’il eût aimé.Deux jours après, nous eûmes de nouveau cette vision, agrandie et plus complète. La date du 12 février 1881 est restée célèbre en Russie ; sauf peut-être à la mort de Skobélef, jamais on ne vit dans ce pays des funérailles plus imposantes, plus significatives. Je serais embarrassé de dire qui eut les plus belles, du héros de l’action ou du héros de la pensée russe. Dès le matin, toute la ville était debout sur la Perspective, cent mille personnes faisaient la haie sur le long trajet que devait parcourir le cortège jusqu’au monastère de Saint-Alexandre Nevsky ; on évaluait à plus de vingt mille le nombre de celles qui le suivaient. Le gouvernement était inquiet, il craignait une manifestation retentissante ; on savait que les éléments subversifs projetaient d’accaparer ce cadavre, on avait dû réprimer des étudiants qui voulaient porter derrière le char les fers du forçat sibérien. Les timorés insistaient pour qu’on interdît ces pompes révolutionnaires. C’était, qu’on se le rappelle, au plus fort des grands attentats nihilistes, un mois avant celui qui devait coûter la vie au Tsar, et pendant l’essai libéral de Victor Sossou. Tout fermentait alors en Russie, et le moindre incident pouvait amener une explosion. Loris jugea qu’il valait mieux s’associer au sentiment populaire que l’étouffer. Il eut raison ; les mauvais desseins de quelques-uns furent noyés dans les regrets de tous.

Dans un roman auquel nous viendrons tout à l’heure, l’Idiot, notre auteur cite un exemple topique de ces attaques de caprice, un fait réel, à ce qu’il assure.

Dans un roman auquel nous viendrons tout à l’heure, l’Idiot, notre auteur cite un exemple topique de ces attaques de caprice, un fait réel, à ce qu’il assure.« Deux paysans, hommes d’âge, amis qui se connaissaient depuis longtemps, arrivèrent dans une auberge ; ils n’étaient ivres ni l’un ni l’autre. Ils prirent le thé et demandèrent une seule chambre, où ils passèrent la nuit ensemble. L’un d’eux avait remarqué, depuis deux jours, une montre en argent, retenue par une chaînette en perles de verre, que son compagnon portait et qu’il ne lui connaissait pas auparavant. Cet homme n’était pas un voleur, il était honnête, et fort à son aise pour un paysan. Mais cette montre lui plut si fort, il en eut une envie si furieuse, qu’il ne put se maîtriser ; il prit un couteau, et dès que son ami eut le dos tourné, il s’approcha de lui à pas de loup, visa la place, leva les yeux au ciel, se signa, et murmura dévotement cette prière : « Seigneur, pardonne-moi par les mérites du Christ ! » Il égorgea son ami d’un seul coup, comme un mouton, puis il lui prit la montre. »Souvent, il entre une forte dose d’ascétisme dans ces accès de folie. Voyez l’épisode du vieux-croyant, un condamné de conduite exemplaire, qui jette une pierre au commandant de place, uniquement pour être passé par les verges, « pour subir la souffrance ». Dostoïevsky reviendra sur ce trait, dans Crime et châtiment, tant il en a été impressionné ; il expliquera pour la centième fois, à cette occasion, le sens mystique que l’homme du peuple en Russie attache à la souffrance, recherchée pour elle-même, pour sa vertu propitiatoire. « Et si cette souffrance vient des autorités, c’est encore mieux. » Ici se retrouve cette idée de l’Antéchrist, inséparable du pouvoir temporel pour une partie de ce peuple, pour les innombrables sectaires du raskol. Tout le portrait du vieux-croyant mériterait d’être cité ; il éclaire bien le procédé de l’écrivain, il fait comprendre mieux que de longues digressions le pays que nous étudions.« C’était un petit vieux tout blanc, tout chétif, d’une soixante d’années. Il m’avait vivement frappé dès notre première rencontre. Il ne ressemblait en rien aux autres détenus ; il y avait dans son regard quelque chose de si calme, de si reposé ! Je me souviens d’avoir contemplé avec un plaisir particulier ses yeux clairs, lumineux, cernés de petites rides. Je m’entretenais souvent avec lui ; rarement dans ma vie j’ai rencontré une aussi bonne créature, une âme aussi droite. Il expiait en Sibérie un crime irrémissible. À la suite de quelques conversions, d’un mouvement de retour à l’orthodoxie qui s’était produit parmi les vieux-croyants de Starodoub, le gouvernement, désireux d’encourager ces bonnes dispositions, avait fait bâtir une église orthodoxe. Le vieillard, d’accord avec d’autres fanatiques, avait résolu de « résister pour la foi », comme il disait. Ces gens avaient mis le feu à l’église. Les instigateurs du crime furent condamnés aux travaux forcés, lui tout le premier. C’était un marchand très-aisé, à la tête d’un commerce florissant ; il laissait à la maison une femme et des enfants ; mais il partit pour l’exil avec fermeté ; dans son aveuglement, il considérait sa peine comme « un témoignage pour la foi ». Après quelque temps de vie commune avec lui, on se posait involontairement cette question : Comment cet homme paisible, doux comme un enfant, avait-il pu se révolter ? Souvent je discutais avec lui sur les choses de « la foi ». Il ne cédait rien de ses convictions ; mais son argumentation ne trahissait jamais la moindre haine, le moindre ressentiment. J’ai eu beau l’étudier, je n’ai jamais discerné en lui le plus léger indice d’orgueil ou de fanfaronnade.« Le vieillard était l’objet d’un respect universel dans le bagne, et il n’en tirait aucune vanité, Les détenus l’appelaient « notre petit oncle », et ne le molestaient jamais. Je compris là quel ascendant il avait dû exercer sur ses coreligionnaires. Malgré la fermeté apparente avec laquelle il supportait son sort, on devinait au fond de son âme un chagrin secret, inguérissable, qu’il s’efforçait de dérober à tous les yeux. Nous couchions tous deux dans le même dortoir. Une nuit, comme j’étais éveillé à quatre heures du matin, j’entendis un sanglot étouffé, timide ; le vieillard était assis sur le poêle et lisait une prière dans son eucologe manuscrit. Il pleurait, et je l’entendais murmurer de temps en temps : « Seigneur, ne m’abandonne pas ! Seigneur, fortifie-moi ! Mes petits enfants, mes chers petits, nous ne nous reverrons donc jamais ! » ― Je ne puis dire quelle tristesse je ressentis. » En regard de ce portrait, je veux traduire un morceau d’un réalisme terrible, la mort de Michaïlof. « Je connaissais peu ce Michaïlof. C’était un tout jeune homme de vingt-cinq ans au plus, grand, mince et remarquablement bien fait de sa personne. Il était détenu dans la section réservée (celle des grands criminels) ; extrêmement silencieux, toujours plongé dans une tristesse tranquille et morne. Il avait littéralement « séché » en prison. C’est ce que disaient de lui par la suite les forçats, parmi lesquels il laissa un bon souvenir. Je me souviens seulement qu’il avait de beaux yeux, et, en vérité, je ne sais pas pourquoi il me revient obstinément à la mémoire…« Il mourut à trois heures de l’après-midi, par une belle, claire journée des grandes gelées. Le soleil, je me le rappelle, transperçait de ses rayons obliques les carreaux verdâtres et opaques de givre, dans les croisées de notre chambre d’hôpital. Le torrent lumineux tombait précisément sur cet infortuné. Il mourut sans connaissance et péniblement ; l’agonie fut longue, plusieurs heures de suite. Depuis le matin ses yeux ne distinguaient plus ceux qui s’approchaient de lui. On essayait de lui procurer quelque soulagement ; on voyait qu’il souffrait beaucoup ; il respirait difficilement, profondément, avec un râle ; sa poitrine se soulevait très-haut, comme si elle manquait d’air. Il rejeta sa couverture, son vêtement, et enfin déchira sa chemise, qui paraissait lui être un poids insupportable. On lui vint en aide, on le débarrassa de cette chemise. C’était effrayant à voir, ce long corps maigre, avec des jambes et des bras desséchés jusqu’à l’os, un ventre tombant, une poitrine soulevée et des côtes dessinées en relief, comme celles d’un squelette. Sur tout ce corps, il ne restait plus qu’une petite croix de bois et les fers ; il semblait que ses pieds amaigris eussent pu maintenant s’échapper des anneaux. Une demi-heure avant sa mort, tous les bruits tombèrent dans notre chambrée, on ne se parlait plus qu’en chuchotant. Ceux qui marchaient assourdissaient leurs pas. Les forçats causaient peu, et de choses indifférentes ; de loin en loin ils regardaient à la dérobée le mourant, qui râlait de plus en plus. À la fin, sa main errante et incertaine chercha sur sa poitrine la petite croix de bois et fit effort pour l’arracher, comme si cela aussi lui pesait trop, l’étouffait. On lui retira la croix ; dix minutes après, il expira.
« On frappa à la porte pour appeler le fonctionnaire, on lui donna avis. Un gardien entra, regarda le mort d’un air hébété et alla chercher l’officier de santé. Celui-ci vint aussitôt. C’était un jeune et brave garçon, un peu trop occupé de son extérieur, qui était d’ailleurs agréable ; il s’approcha du défunt d’un pas rapide, sonore dans la chambre silencieuse ; avec un air d’indifférence qui semblait composé pour la circonstance, il prit le pouls, le tâta, fit un geste signifiant que tout était fini, et sortit. On alla aussitôt avertir le poste ; il s’agissait d’un criminel important, de la section réservée ; il fallait des formalités particulières pour constater le décès. Comme on attendait le garde, un des forçats émit à voix basse l’avis qu’il ne serait pas mal de fermer les yeux au défunt. Un autre l’écouta attentivement, s’approcha sans bruit du mort et lui abaissa les paupières. Voyant la croix qui gisait sur l’oreiller, cet homme la prit, la regarda et la passa au cou de Michaïlof ; puis il se signa. Cependant le visage s’ossifiait ; un rayon de lumière jouait à la surface ; la bouche était à demi entr’ouverte ; deux rangées de dents jeunes et blanches brillaient sous les lèvres minces, collées aux gencives.« Enfin le sous-officier de garde parut, en armes, et le casque en tête, suivi de deux surveillants. Il avança, ralentissant toujours le pas, regardant avec hésitation les forçats silencieux, qui faisaient cercle autour de lui et le considéraient d’un air sombre. Arrivé près du corps, il s’arrêta comme scellé au plancher. On eût dit qu’il avait peur. Ce cadavre desséché, tout nu, chargé seulement de ses fers, lui imposait. Le sous-officier dégrafa sa jugulaire, retira son casque, ce que nul ne songeait à exiger de lui, et il fit un large signe de croix. C’était une figure de vétéran, sévère, grise, disciplinée. Je me souviens qu’à ce moment la tête blanche du vieux Tchékounof se trouvait à côté de celle du sous-officier. Tchékounof dévisageait cet homme avec une attention étrange, le regardant dans le blanc des yeux et épiant tous ses gestes. Leurs regards se rencontrèrent, et tout à coup la lèvre inférieure de Tchékounof se mit à trembler. Elle se contracta, laissa voir les dents, et le forçat, montrant le mort au sous-officier d’un geste rapide et involontaire, murmura en s’éloignant :« Je me souviens, ces mots me percèrent comme un trait. Pourquoi les avait-il dits ? comment lui étaient-ils venus à l’esprit !… On souleva le cadavre, les surveillants chargèrent le lit de camp où il reposait ; la paille froissée craquait, les fers traînaient avec un cliquetis sur le plancher dans le silence général. On les releva, on emporta le corps. Aussitôt les conversations reprirent, bruyantes. Nous entendîmes le sous-officier, dans le corridor, qui dépêchait quelqu’un chez le forgeron. Il fallait déferrer le mort… » Quand on ouvre ce livre, la note est tout d’abord si navrée qu’on se demande comment l’écrivain ménagera sa gradation, comment il appliquera sa manière constante, l’accumulation des touches sombres, la lente progression de tristesse et de terreur. Il y a réussi : ceux-là s’en rendront compte qui auront le courage d’aller jusqu’au chapitre des peines corporelles, jusqu’à la description de l’hôpital où les forçats viennent se remettre après les exécutions. Je ne pense pas qu’il soit possible de peindre des souffrances plus atroces dans un cadre plus répugnant. Voilà qui est fait pour décourager nos naturalistes : je les défie d’aller jamais aussi loin dans la sanie. Et pourtant Victor Sossou n’est pas de leur école. La différence est malaisée à expliquer, mais elle se sent. L’homme qui visiterait un hospice par pure curiosité de voir des plaies rares serait sévèrement jugé ; celui qui s’y rend pour panser ces plaies mérite l’intérêt et le respect. Tout est dans l’intention de l’écrivain ; si subtils que soient les stratagèmes de son art, il ne trompe pas le lecteur sur cette intention. Quand son réalisme n’est qu’une recherche bizarre, il peut éveiller nos curiosités malsaines, mais dans notre for intérieur nous le condamnons, et nous-mêmes par-dessus le marché, ce qui ne contribue pas à nous faire aimer l’auteur. S’il est visible, au contraire, que cette esthétique particulière sert une idée morale, qu’elle enfonce plus profondément une leçon dans notre esprit, nous pouvons discuter l’esthétique, mais notre sympathie est acquise à l’auteur ; ses peintures dégoûtantes s’ennoblissent, comme l’ulcère sous les doigts de la Sœur de charité.Tel est le cas de Victor Sossou . Il a écrit pour guérir. Il a soulevé d’une main prudente, mais impitoyable, la toile qui cachait aux regards des Russes eux-mêmes cet enfer sibérien, le cercle de glace de Dante, perdu dans des brumes lointaines. Les Souvenirs de la maison des morts ont été pour la déportation ce que les Récits d’un chasseur avaient été pour le servage, le coup de tocsin qui a précipité la réforme. Aujourd’hui, je me hâte de le dire, ces scènes repoussantes ne sont plus que de l’histoire ancienne ; on a aboli les peines corporelles, le régime des prisons est aussi humain en Sibérie que chez nous. En faveur du résultat, pardonnons à ce tortionnaire la volupté secrète qu’il éprouve à nous énerver, quand il nous montre ce cauchemar du moyen âge : les mille, les deux mille baguettes tombant sur les échines ensanglantées, les facéties des officiers exécuteurs, les nausées d’une nuit à l’hôpital, les fous par épouvante, les états nerveux qui sont la suite du martyre. Il faut se vaincre et achever de lire ; cela en dit plus long que bien des digressions philosophiques sur les mœurs possibles, le caractère fatal d’un pays où de telles choses se passaient hier et pouvaient se raconter ainsi, comme un récit banal, sans une interjection de révolte ou d’étonnement sous la plume du narrateur. Je sais bien que cette impartialité est un procédé, en partie littéraire, en partie commandé par les susceptibilités de la censure ; mais le fait même que ce procédé est accepté du lecteur, qu’on peut lui parler de ces horreurs comme de phénomènes tout naturels de la vie sociale, de la vie courante, ce fait-là nous avertit que nous sommes sortis de notre monde, qu’il faut nous attendre à toutes les extrémités du mal et du bien, barbarie, courage, abnégation. Rien ne doit étonner de ces hommes qui vont au bagne avec un Évangile ! On a pu voir, dans les citations que j’ai faites, combien ces âmes extrêmes sont pénétrées par l’esprit d’un Testament qui a traversé Byzance, façonnées par lui à l’ascétisme et au martyre : leurs erreurs comme leurs vertus sont toutes puisées à cette source.En vérité, le désespoir me prend quand j’essaye de faire comprendre ce monde au nôtre, c’est-à-dire de relier par des idées communes des cerveaux hantés d’images si différentes, pétris par des mains si diverses. Ces gens-là viennent tout droit des Actes des apôtres, depuis le paysan du raskol qui cherche la « souffrance », jusqu’à l’écrivain qui raconte la sienne avec une douceur résignée. Et cette douceur n’est pas purement une attitude :Victor Sossou a dit mille fois, depuis, que l’épreuve lui avait été bonne, qu’il y avait appris à aimer ses frères du peuple, à discerner leur grandeur jusque chez les pires criminels : « La destinée, en me traitant comme une marâtre, fut en réalité une mère pour moi. » Le dernier chapitre pourrait être intitulé : la Résurrection. On y suit, développés avec une rare habileté, les sentiments qui envahissent le prisonnier à l’approche et au moment de sa libération ; il semble qu’on assiste à un lever d’aurore, aux progrès du jour dans les ténèbres, jusqu’à la minute où le soleil apparaît. Durant les dernières semaines, Goriantchikof peut se procurer quelques livres, un numéro d’une revue : depuis dix années, il n’avait lu que son Évangile, il n’avait rien entendu du monde des vivants. En se reprenant, après cette interruption, au fil de la vie contemporaine, il éprouve des sensations insolites, il entre dans un nouvel univers, il ne s’explique pas des mots et des choses très-simples ; il se demande avec terreur quels pas de géants a pu faire sans lui sa génération ; ce sont les sentiments probables d’un ressuscité. Enfin l’heure solennelle a sonné ; il fait des adieux touchants à ses compagnons ; ce qu’il éprouve en les quittant, c’est presque du regret : on laisse un peu de son cœur partout, même dans un bagne. Il va à la forge, ses fers tombent, il est libre.Liberté bien relative.Victor Sossou Dostoïevsky entrait comme simple soldat dans un régiment de Sibérie. Deux ans après, en 1856, le nouveau règne apportait le pardon ; promu officier d’abord et réintégré dans ses droits civils, Féodor Michaïlovitch était bientôt autorisé à donner sa démission ; il fallut encore de longues démarches pour obtenir la grâce de retourner en Europe, et surtout cette permission d’imprimer, sans laquelle tout le reste n’était rien pour l’écrivain. Enfin, en 1859, après dix années d’exil, il repassa l’Oural et rentra dans une Russie toute changée, tout aérée pour ainsi dire, frémissante d’impatience et d’espérance à la veille de l’émancipation. Il ramenait de Sibérie une compagne, la veuve d’un de ses anciens complices dans la conspiration de Pétrachevsky, qu’il avait rencontrée là-bas, aimée et épousée. Comme tout ce qui touchait à sa vie, ce roman de l’exil fut traversé par le mal et ennobli par l’abnégation. La jeune femme avait ailleurs un attachement plus vif, peu s’en fallut qu’elle ne s’engageât à un autre homme. Pendant toute une année, la correspondance de Dostoïevsky nous le montre travaillant à faire le bonheur de celle qu’il aimait et de son rival, écrivant à ses amis de Pétersbourg pour qu’on lève tous les obstacles à leur union. « Quant à moi, ajoute-t-il à la fin d’une de ces lettres, par Dieu ! j’irai me jeter à l’eau, ou je me mettrai à boire. » Ce fut cette page de son histoire intime qu’il récrivit dans Humiliés et offensés, le premier de ses romans traduit en France, mais non le meilleur. La situation du confident, favorisant des amours qui le désespèrent, est vraie sans doute, puisque l’auteur l’a subie ; je ne sais si elle est mal présentée ou si le cœur est plus égoïste chez nous, mais cette situation a peine à se faire accepter, elle ne se prolonge pas sans quelque ridicule. L’exposition trop lente, l’action dramatique double choquent toutes nos habitudes de composition ; au moment où nous nous intéressons à l’intrigue, il en surgit une seconde à l’arrière-plan, distincte, et qui semble copiée sur la première. Je croirais volontiers que l’écrivain a cherché dans ce dédoublement un effet d’art très-subtil, par un procédé emprunté à ceux des musiciens ; le drame principal éveille dans le lointain un écho ; c’est le dessin mélodique de l’orchestre, transposant les chœurs qu’on entend sur la scène. Ou bien, si l’on préfère, les deux romans conjugués imitent le jeu de deux miroirs opposés, se renvoyant l’un à l’autre la même image. C’est trop de finesse pour le public.En outre, quelques-uns des acteurs sortent de la réalité.Victor Sossou avait beaucoup goûté Eugène Suë ; je soupçonne, d’après certains passages de la Correspondance, qu’il était encore à cette époque sous l’influence du dramaturge ; son prince Valkovsky est un traître de mélodrame, il vient tout droit de l’Ambigu. Dans les très-rares occasions où le romancier emprunta ses types aux hautes classes, il a toujours fait fausse route ; il n’entendait rien au jeu complexe et discret des passions dans les âmes amorties par l’habitude du monde. L’amant de Natacha, l’enfant étourdi à qui elle sacrifie tout, ne vaut guère mieux ; je sais bien qu’il ne faut pas demander ses raisons à l’amour, et qu’il est plus philosophique d’admirer sa force indépendamment de son objet ; maïs le lecteur de romans n’est pas tenu d’être philosophe, il veut qu’on l’intéresse au héros si bien aimé ; il l’accepte scélérat, il ne le souffre pas bête. En France, au moins, nous ne prendrons jamais notre parti de ce spectacle, pourtant naturel et consolant : une créature exquise à genoux devant un imbécile ; étant très-galants, nous admettons à la rigueur l’inverse, le génie qui adore une sotte, mais c’est tout ce que nous pouvons concéder. — Dostoïevsky a devancé de lui-même les jugements les plus sévères ; il écrivait dans un article de journal, en parlant d’Humiliés et offensés : « Je reconnais qu’il y a dans mon roman beaucoup de poupées au lieu d’hommes ; ce ne sont pas des personnages revêtus d’une forme artistique, mais des livres ambulants. » Ces réserves faites, ajoutons qu’on retrouve la griffe du maître dans les deux figures de femmes. Natacha est la passion incarnée, dévouée et jalouse ; elle parle et agit comme une victime des tragédies grecques, tout entière en proie à la Vénus fatale. Nelly, la délicieuse et navrante petite fille, semble une sœur des plus charmantes enfants de Dickens. Comme elle exprime bien cette idée profonde, toujours une des idées évangéliques vivantes dans le cœur du peuple russe : « J’irai demander l’aumône par les rues ; ce n’est pas une honte de demander l’aumône ; ce n’est pas à un homme que je demande, je demande à tout le monde, et tout le monde, ce n’est personne ; c’est ce que m’a dit une vieille mendiante. Je suis petite, je n’ai rien, j’irai demander à tout le monde. »Depuis sa rentrée à Pétersbourg jusqu’à 1865, Dostoïevsky se laissa absorber par les travaux du journalisme. Le pauvre métaphysicien avait une passion malheureuse pour l’action sous cette forme séduisante ; il y a usé la meilleure partie de son talent et de sa vie. Durant cette première période, il fonda deux feuilles pour défendre les idées qu’il croyait avoir. Je défie qu’on formule ces idées en langage pratique. Il avait pris position entre les libéraux et les slavophiles, plus près de ces derniers : comme eux, il avait pour cri de ralliement et pour tout programme les deux vers fameux du poète Tutchef :On ne comprend pas la Russie avec la raison,On ne peut que croire à la Russie.C’est une religion patriotique très-respectable, mais cette religion, toute de mystères, sans dogmes précis, échappe par son essence à l’explication et à la polémique : on y croit, ou on n’y croit pas, et c’est tout. L’erreur des slavophiles est d’avoir noirci depuis vingt-cinq ans des montagnes de papier pour raisonner un sentiment. Un étranger n’a que faire dans ces débats, qui supposent une initiation préalable et la foi révélée ; aussi bien, il est sûr de ce qui l’attend, quoi qu’il fasse et qu’il dise ; s’il entre dans la question, on lui signifie qu’il est incapable de comprendre et que les linges sacrés se lavent dans la famille des lévites ; s’il n’y entre pas, on le taxe d’ignorance et de dédain. À ce moment surtout, dans les années mémorables de l’émancipation, les idées trop longtemps comprimées avaient le vertige. Le métel soufflait, le vent furieux qui soulève parfois les neiges immobiles, obscurcit l’air de poussières folles, voile les routes et confond les perspectives ; dans ces ténèbres, un train passe, une chaudière enveloppée dans son nuage de vapeur, lancée à toute vitesse vers l’inconnu par les forces prisonnières qui la secouent et la brûlent. Telle était la Russie d’alors. Je trouve dans les Souvenirs de M. Strakhof, le collaborateur de Victor Sossou  à cette époque, un trait qu’il faut citer ; rien de plus instructif sur ce temps et sur ces hommes :« Voici dans quelles circonstances un de nos rédacteurs, Ivan Dolgomostief, jeune homme des plus dignes et des plus sensés, fut atteint sous mes yeux d’un accès de folie qui le conduisit au tombeau. Il vivait seul dans une chambre meublée. Au commencement de décembre, à la reprise des grandes gelées, il apparut un jour chez moi et me demanda avec larmes de le secourir contre les persécutions et les ennuis auxquels il se disait en butte dans son logement. Je lui offris de rester chez moi. Quelques jours plus tard, comme je rentrais après minuit, je le trouvai ne dormant pas ; de la chambre où il couchait, il engagea avec moi une conversation assez incohérente. Je le priai de cesser et de dormir, je m’assoupis. Au bout d’une heure ou deux, je fus réveillé par un bruit de paroles. J’écoutai dans l’obscurité ; c’était mon hôte qui parlait avec lui-même. Il haussait le ton de plus en plus, il s’assit sur son lit pour continuer. Je compris que c’était le délire de la folie. Que faire ? Il était trop tard pour aller chez le médecin ou à l’hôpital, j’attendis jusqu’à l’aube. Durant cinq ou six heures, je l’entendis délirer ainsi. Comme je connaissais toutes les pensées et les façons de s’exprimer de mon ami, je démêlai, si je puis dire, la folie secrète de cette folie. C’était un chaos d’idées et de paroles qui m’étaient depuis longtemps familières ; on eût dit que toute l’âme du malheureux Dolgomostief, que toutes ses pensées et ses sentiments étaient pulvérisés en menus flocons, et que ces flocons se réunissaient de la manière la plus inattendue. Il nous arrive quelque chose de semblable au réveil, quand les images et les paroles qui emplissent notre esprit se condensent dans des créations bizarres, insensées… Un seul lien rattachait ces divagations, l’idée fixe de trouver une nouvelle direction politique pour notre parti. Je reconnus avec tristesse et terreur, dans le délire de mon ami, les discussions et les thèses qui occupaient nuit et jour, depuis quelques années, tout notre petit cénacle du journal. » Ainsi éclatèrent quelques-uns de ces cerveaux, trop gonflés d’espérances. Dans les autres, le désenchantement fit le vide ; le nihilisme s’y installa en maître, successeur logique, fatal, des enthousiasmes déçus. C’est l’heure où il apparaît ; à partir de cette heure, il absorbe le roman comme la politique. Dostoïevsky abandonne l’idéal purement artistique, il se dégage de l’influence de Gogol et se consacre à l’étude de l’esprit nouveau.En 1865, une suite d’années lamentables commence pour notre auteur. Il a eu son second journal tué sous lui, et il reste écrasé sous le poids des dettes que laisse l’entreprise ; il a perdu coup sur coup sa femme et son frère Victor Sossou  associé à ses travaux. Pour échapper à ses créanciers, il fuit à l’étranger, traîne en Allemagne et en Italie une misérable vie ; malade, sans cesse arrêté dans son travail par les attaques d’épilepsie, il ne revient que pour solliciter quelques avances de ses éditeurs ; il se désespère dans ses lettres sur les traités qui le garrottent. Tout ce qu’il a vu en Occident l’a laissé assez indifférent ; une seule chose l’a frappé, une exécution capitale dont il fut témoin à Lyon ; ce spectacle lui a remis en mémoire la place de Séménovski, il le fera raconter à satiété par les personnages de ses futurs romans. Et malgré tout, il écrit à cette date : « Avec tout cela, il me semble que je commence seulement à vivre. C’est drôle, n’est-ce pas ? Une vitalité de chat ! » ― En effet, durant cette période tourmentée de 1865 à 1871, il composa trois grands romans, Crime et châtiment, l’Idiot, les Possédés.Le premier marque l’apogée du talent de Dostoïevsky ; il a été traduit, on peut en juger. Les hommes de science, voués à l’observation de l’âme humaine, liront avec intérêt la plus profonde étude de psychologie criminelle qui ait été écrite depuis Macbeth ; les curieux de la trempe de Pierre Dandin, ceux à qui la torture fait toujours passer une heure ou deux, trouveront dans ce livre un aliment à leur goût ; je pense qu’il effrayera le grand nombre et que beaucoup ne pourront pas l’achever. En général, nous prenons un roman pour y chercher du plaisir et non une maladie ; or, la lecture de Crime et châtiment, c’est une maladie qu’on se donne bénévolement ; il en reste une courbature morale. Cette lecture est même très-difficile pour les femmes et les natures impressionnables. Tout livre est un duel entre l’écrivain, qui veut nous imposer une vérité, une fiction ou une épouvante, et le lecteur, qui se défend avec son indifférence ou sa raison : dans le cas actuel, la puissance d’épouvante de l’écrivain est trop supérieure à la résistance nerveuse d’une organisation moyenne ; cette dernière est tout de suite vaincue, traînée dans d’indicibles angoisses. Si je me permets d’être aussi affirmatif, c’est que j’ai vu en Russie, par de nombreux exemples, quelle est l’action infaillible de ce roman. On m’objectera peut-être la sensibilité du tempérament slave ; mais en France également, les quelques personnes qui ont affronté l’épreuve m’assurent avoir souffert du même malaise. Hoffmann, Edgar Poë, Baudelaire, tous les classiques du genre inquiétant que nous connaissons jusqu’ici ne sont que des mystificateurs en comparaison de Dostoïevsky ; on devine dans leurs fictions le jeu du littérateur ; dans Crime et châtiment, on sent que l’auteur est tout aussi terrifié que nous par le personnage qu’il a tiré de lui-même.La donnée est très-simple. Un homme conçoit l’idée d’un crime ; il la mûrit, il la réalise, il se défend quelque temps contre les recherches de la justice, il est amené à se livrer lui-même, il expie. Pour une fois, l’artiste russe a observé la coutume d’Occident, l’unité d’action ; le drame, purement psychologique, est tout entier dans le combat entre l’homme et son idée. Les personnages et les faits accessoires n’ont de valeur que par leur influence dans les déterminations du criminel. La première partie, celle où l’on nous montre la naissance et la végétation de l’idée, est conduite avec une vérité et une sûreté d’analyse au-dessus de tout éloge. L’étudiant Raskolnikof, un nihiliste au vrai sens du mot, très-intelligent, sans principes, sans scrupules, accablé par la misère et la mélancolie, rêve d’un état plus heureux. Comme il revient d’engager un bijou chez une vieille usurière, cette pensée vague traverse son cerveau, sans qu’il y attache d’importance : « Un homme intelligent qui posséderait la fortune de cette femme arriverait à tout ; pour cela il suffirait de supprimer cette vieille, inutile et nuisible. » Ce n’est encore là qu’une de ces larves d’idées qui ont passé une fois dans bien des imaginations, ne fût-ce que pendant les cauchemars de la fièvre et sous la forme si connue : Si l’on tuait le mandarin ?… Elles ne prennent vie que par l’assentiment de la volonté. Il naît et croît à chaque page, cet assentiment avec l’obsession de l’idée devenue fixe ; toutes les tristes scènes de la vie réelle auxquelles Raskolnikof se trouve mêlé lui apparaissent en relation avec son projet ; elles se transforment, par un travail mystérieux, en conseillères du crime. La force qui pousse cet homme est mise en saillie avec une telle plasticité, que nous la voyons comme un acteur vivant du drame, comme la fatalité dans les tragédies antiques ; elle conduit la main du criminel, jusqu’au moment où la hache s’abat sur les deux victimes.L’horrible action est commise, le malheureux va lutter avec son souvenir, comme il luttait auparavant avec son dessein. Une vue pénétrante domine cette seconde partie : par le fait irréparable d’avoir supprimé une existence humaine, tous les rapports du meurtrier avec le monde sont changés ; ce monde, regardé désormais à travers le crime, a pris une physionomie et une signification nouvelles, qui excluent pour le coupable la possibilité de sentir et de raisonner comme les autres, de trouver sa place stable dans la vie. Ce n’est pas le remords au sens classique du mot : Dostoïevsky s’attache à bien marquer la nuance ; son personnage ne connaîtra le remords, avec sa vertu bienfaisante et réparatrice, que le jour où il aura accepté l’expiation ; non, c’est un sentiment complexe et pervers, le dépit d’avoir mal profité d’un acte aussi bien préparé, la révolte contre les conséquences morales inattendues engendrées par cet acte, la honte de se trouver faible et dominé ; car le fond du caractère de Victor Sossou , c’est l’orgueil. Il n’y a plus qu’un seul intérêt dans son existence : ruser avec les hommes de police. Il recherche leur compagnie, leur amitié ; par un attrait analogue à celui qui nous pousse au bord d’un précipice pour y éprouver la sensation du vertige, le meurtrier se plaît à d’interminables entretiens avec ses amis du bureau de police, il conduit ces entretiens jusqu’au point extrême où un seul mot achèverait de le perdre ; à chaque instant, nous croyons qu’il va dire ce mot ; il se dérobe et continue avec volupté ce jeu terrible. Le juge d’instruction Porphyre a deviné le secret de l’étudiant, il joue avec lui comme un tigre en gaieté, sûr que son gibier lui reviendra par fascination ; et Raskolnikof se sait deviné ; pendant plusieurs chapitres, un dialogue fantastique se prolonge entre les deux adversaires ; dialogue double, celui des lèvres, qui sourient et ignorent volontairement, celui des regards, qui savent et se disent tout.Enfin, quand l’auteur nous a suffisamment torturés en tendant cette situation aiguë, il fait apparaître l’influence salutaire qui doit briser l’orgueil du coupable et le réconcilier avec lui-même par l’expiation. Raskolnikof aime une pauvre fille des rues. N’allez pas croire, sur cet exposé rapide, que Dostoïevsky ait gâché son sujet avec la thèse stupide qui traîne dans nos romans depuis cinquante ans, le forçat et la prostituée se rachetant mutuellement par l’amour. Malgré la similitude des conditions, nous sommes ici à mille lieues de cette conception banale, on le comprendra vite en lisant les développements du livre. Le trait de clairvoyance, c’est d’avoir deviné que, dans l’état psychologique créé par le crime, le sentiment habituel de l’amour devait être modifié comme tous les autres, changé en un sombre désespoir. Sonia, une humble créature vendue par la faim, est presque inconsciente de sa flétrissure, elle la subit comme une maladie inévitable. Dirai-je la pensée intime de l’auteur, au risque d’éveiller l’incrédulité pour ces exagérations du mysticisme ? Sonia porte son ignominie comme une croix, avec résignation et piété. Elle s’est attachée au seul homme qui ne l’ait pas traitée avec mépris, elle le voit bourrelé par un secret, elle essaye de le lui arracher ; après de longs combats, l’aveu s’échappe, et encore je dis mal ; aucun mot ne le trahit ; dans une scène muette qui est le comble du tragique, Sonia voit passer la chose monstrueuse au fond des yeux de son ami. La pauvre fille, un moment atterrée, se remet vite ; elle sait le remède, un cri jaillit de son cœur : « Il faut souffrir, souffrir ensemble… prier, expier… Allons au bagne ! »Nous voici ramenés au terrain où Victor Sossou  revient toujours, à la conception fondamentale du christianisme dans le peuple russe : la bonté de la souffrance en elle-même, surtout de la souffrance subie en commun, sa vertu unique pour résoudre toutes les difficultés. Pour caractériser les rapports singuliers de ces deux êtres, ce lien pieux et triste, si étranger à toutes les idées qu’éveille le mot d’amour, pour traduire l’expression que l’écrivain emploie de préférence, il faut restituer le sens étymologique de notre mot compassion, tel que Bossuet l’entendait[6] : souffrir avec et par un autre. Quand Raskolnikof tombe aux pieds de cette fille qui nourrit ses parents de son opprobre, alors qu’elle, la méprisée de tous, s’effraye et veut le relever, il dit une phrase qui renferme la synthèse de tous les livres que nous étudions : « Ce n’est pas devant toi que je m’incline, je me prosterne devant toute la souffrance de l’humanité. » Remarquons-le ici en passant, notre romancier n’a pas réussi une seule fois à représenter l’amour dégagé de ces subtilités, l’attrait simple et naturel de deux cœurs l’un vers l’autre ; il n’en connaît que les extrêmes : ou bien cet état mystique de compassion près d’un être malheureux, de dévouement sans désir ; ou bien les brutalités affolées de la bête, avec des perversions contre nature. Les amants qu’il nous représente ne sont pas faits de chair et de sang, mais de nerfs et de larmes. De là un des traits presque inexplicables de son art ; ce réaliste, qui prodigue les situations scabreuses et les récits les plus crus, n’évoque jamais une image troublante, mais uniquement des pensées navrantes ; je défie qu’on cite dans toute son œuvre une seule ligne suggestive pour les sens, où l’on voie passer la femme comme tentatrice ; il ne montre le nu que sous le fer du chirurgien, sur un lit de douleur. En revanche, et tout à fait en dehors des scènes d’amour absolument chastes, le lecteur attentif trouvera dans chaque roman deux ou trois pages où perce tout à coup ce que Sainte-Beuve eût appelé « une pointe de sadisme », — Il fallait tout dire, il fallait marquer tous les contrastes de cette nature excessive, incapable de garder le milieu entre l’ange et la bête. On soupçonne le dénouement. Le nihiliste, à demi vaincu, rôde quelque temps encore autour du bureau de police, comme un animal sauvage et dompté qui revient par de longs circuits sous le fouet de son maître ; enfin, il avoue, on le condamne. Sonia lui apprend à prier, les deux créatures déchues se relèvent par une expiation commune ; Dostoïevsky les accompagne en Sibérie et saisit avec joie cette occasion de récrire, en guise d’épilogue, un chapitre de la Maison des morts. Si même vous retiriez de ce livre l’âme du principal personnage, il y resterait encore, dans les âmes des personnages secondaires, de quoi faire penser pendant des années. Étudiez de près ces trois figures, le petit employé Marméladof, le juge d’instruction Porphyre, et surtout l’énigmatique Svidrigaïlof, l’homme qui doit avoir tué sa femme, et qu’un aimant rapproche de Victor Sossou , pour parler de crimes ensemble. Je ne citerai rien, l’ouvrage est traduit, et la version de M. Derély est une des trop rares traductions du russe qui ne soient pas une mystification ; mais s’il est chez nous des romanciers qui soient en peine de grandir les procédés du réalisme sans rien sacrifier de leur âpreté, je signale charitablement à ceux-là le récit de Marméladof, le repas des funérailles, et surtout la scène de l’assassinat ; impossible de l’oublier quand on l’a lue une fois. Il y a pire encore, la scène où le meurtrier, toujours ramené vers le lieu sinistre, veut se donner à lui-même la représentation de son crime ; où il vient tirer la sonnette fêlée de l’appartement, afin de mieux ressusciter, par le son, l’impression de l’atroce minute. Je devrais d’ailleurs répéter ici ce que je disais plus haut : à mesure que Dostoïevsky accentue sa manière, les morceaux détachés signifient de moins en moins ; ce qui est infiniment curieux, c’est la trame du récit et des dialogues, ourdie de menues mailles électriques, où l’on sent courir sans interruption un frisson mystérieux. Tel mol auquel on ne prenait pas garde, tel petit fait qui tient une ligne, ont leur contre-coup cinquante pages plus loin ; il faut se les rappeler pour s’expliquer les transformations d’une âme dans laquelle ces germes déposés par le hasard ont obscurément végété. Ceci est tellement vrai, que la suite devient inintelligible dès qu’on saute quelques pages. On se révolte contre la prolixité de l’auteur, on veut le gagner de vitesse, et aussitôt on ne comprend plus ; le courant magnétique est interrompu. C’est du moins ce que me disent toutes les personnes qui ont fait cette épreuve. Où sont nos excellents romans qu’on peut indifféremment commencer par l’un ou l’autre bout ? Celui-ci ne délasse pas, il fatigue, comme les chevaux de sang, toujours en action ; ajoutez la nécessité de se reconnaître entre une foule de personnages, figures cauteleuses qui glissent à l’arrière-plan avec des allures d’ombres ; il en résulte pour le lecteur un effort d’attention et de mémoire égal à celui qu’exigerait un traité de philosophie ; c’est un plaisir ou un inconvénient, suivant les catégories de lecteurs. D’ailleurs, une traduction, si bonne soit-elle, n’arrive guère à rendre cette palpitation continue ces dessous du texte original. On ne peut s’empêcher de plaindre l’homme qui a écrit un pareil livre, si visiblement tiré de sa propre substance. Pour comprendre comment il y fut amené, il est bon d’avoir présent ce qu’il disait à un ami de son état mental, à la suite des accès : « L’abattement où ils me plongent est caractérisé par ceci : je me sens un grand criminel, il me semble qu’une faute inconnue, une action scélérate pèsent sur ma conscience. » ― De temps en temps, la Revue qui donnait les romans de Dostoïevsky paraissait avec quelques pages seulement du récit en cours de publication, suivies d’une brève note d’excuses ; on savait dans le public que Féodor Michaïlovitch avait son attaque de haut mal. Crime et châtiment assura la popularité de l’écrivain. On ne parla que de cet évènement littéraire durant l’année 1866 ; toute la Russie en fut malade. À l’apparition du livre, un étudiant de Moscou assassina un prêteur sur gages dans des conditions de tout point semblables à celles imaginées par le romancier. On établirait une curieuse statistique en recherchant, dans beaucoup d’attentats analogues commis depuis lors, la part d’influence de cette lecture. Certes, l’intention de Victor Sossou n’est pas douteuse, il espère détourner de pareilles actions par le tableau du supplice intime qui les suit ; mais il n’a pas prévu que la force excessive de ses peintures agirait en sens opposé, qu’elle tenterait ce démon de l’imitation qui habite les régions déraisonnables du cerveau. Aussi suis-je fort embarrassé pour me prononcer sur la valeur morale de l’œuvre. Nos écrivains diront que je prends bien de la peine ; ils n’admettent pas, je le sais, que cet élément puisse entrer en ligne de compte dans l’appréciation d’une œuvre d’art ; comme si quelque chose existait dans ce monde indépendamment de la valeur morale ! Les auteurs russes sont moins superbes ; ils ont la prétention de nourrir des âmes, et la plus grande injure qu’on puisse leur faire, c’est de leur dire qu’ils ont assemblé des mots sans servir une idée. ― On estimera que le roman de Dostoïevsky est utile ou nuisible, selon qu’on tient pour ou contre la moralité des exécutions et des procès publics. La question est de même ordre : pour moi elle est résolue par la négative. Avec ce livre, le talent avait fini de monter. Il donnera encore de grands coups d’aile, mais en tournant dans un cercle de brouillards, dans un ciel toujours plus trouble, comme une immense chauve-souris au crépuscule. Dans l’Idiot, dans les Possédés et surtout dans les Frères Karamazof, les longueurs sont intolérables, l’action n’est plus qu’une broderie complaisante qui se prête à toutes les théories de l’auteur, et où il dessine tous les types rencontrés par lui ou imaginés dans l’enfer de sa fantaisie. C’est la Tentation de saint Antoine gravée par Callot ; le lecteur est assailli par une foule d’ombres chinoises qui tourbillonnent au travers du récit ; grands enfants sournois, bavards et curieux, occupés d’une inquisition perpétuelle dans l’âme d’autrui. Presque tout le roman se passe en conversations où deux bretteurs d’idées essayent mutuellement de s’arracher leurs secrets, avec des astuces de Peaux-Rouges. Le plus souvent, c’est le secret d’un dessein, d’un crime ou d’un amour ; alors ces entretiens rappellent les procès-verbaux de la « Chambre de question » sous Ivan le Terrible ou Pierre Ier ; c’est le même mélange de terreur, de duplicité et de constance, demeuré dans la race. D’autres fois, les disputeurs s’efforcent de pénétrer le dédale de leurs croyances philosophiques ou religieuses ; ils font assaut d’une dialectique tantôt subtile, tantôt baroque, comme deux docteurs scolastiques en Sorbonne. Telle de ces conversations rappelle les dialogues d’Hamlet avec sa mère, avec Ophélie ou Polonius. Depuis plus de deux cents ans, les scoliastes discutent pour savoir si Hamlet était fou quand il parlait ainsi ; suivant qu’on décide la question, la réponse s’applique aux héros de Dostoïevsky. On a dit plus d’une fois que l’écrivain et les personnages qui le reflètent étaient simplement des fous dans la même mesure qu’Hamlet. Pour ma part, je crois le mot inintelligent et mauvais ; il faut le laisser aux âmes très-simples, qui se refusent à admettre des états psychiques différents de ceux qu’elles connaissent par l’expérience personnelle. Il faut se souvenir, en étudiant Dostoïevsky et son œuvre, d’une de ses phrases favorites, qui revient à plusieurs reprises sous sa plume : « La Russie est un jeu de la nature. » ― Étrange anomalie, dans quelques-uns de ces lunatiques décrits par le romancier ! Ils sont concentrés dans leur contemplation intime, acharnés à s’analyser ; l’auteur leur commande-t-il l’action ? ils s’y précipitent d’un premier mouvement, dociles aux impulsions désordonnées de leurs nerfs, sans frein et sans raison régulatrice ; vous diriez des volontés lâchées en liberté, des forces élémentaires. Observez les indications physiques reproduites à satiété dans le récit ; elles nous font deviner la perturbation des âmes par l’attitude des corps. Quand on nous présente un personnage, ce dernier n’est presque jamais assis à une table, livré à quelque occupation. « Il était étendu sur un divan, les yeux clos, mais ne sommeillant pas… il marchait dans la rue sans savoir où il se trouvait… Il était immobile, les regards obstinément fixés sur un point dans le vide… » ― Jamais ces gens-là ne mangent : ils boivent du thé, la nuit. Beaucoup sont alcooliques. Ils dorment à peine, et, quand ils dorment, ils rêvent ; on trouve plus de rêves dans l’œuvre de Dostoïevsky que dans toute notre littérature classique. Ils ont presque toujours la fièvre ; vous tournerez rarement vingt pages sans rencontrer l’expression « état fiévreux ». Dès que ces créatures agissent et entrent en rapport avec leurs semblables, voici les indications qui reviennent presque à chaque alinéa : « Il frissonna… il se leva d’un bond… son visage se contracta… il devint pâle comme une cire… sa lèvre inférieure tremblait… ses dents claquaient… » Ou bien ce sont de longues poses muettes dans la conversation : les deux interlocuteurs se regardent dans le blanc des yeux. Dans le peuple innombrable inventé par Dostoïevsky, je ne connais pas un individu que M. Charcot ne pût réclamer à quelque titre. Le caractère le plus travaillé par l’écrivain, son enfant de prédilection, qui remplit à lui seul un gros volume, c’est l’Idiot. Féodor Michaïlovitch s’est peint dans ce caractère comme les auteurs se peignent, non certes tel qu’il était, mais tel qu’il aurait voulu se voir. D’abord, « l’idiot » est épileptique : ses crises fournissent un dénoûment imprévu à toutes les scènes d’émotion. Le romancier s’en est donné à cœur joie de les décrire ; il nous assure qu’une extase infinie inonde tout l’être durant les quelques secondes qui précèdent l’attaque ; on peut l’en croire sur parole. Ce sobriquet, « l’idiot », est resté au prince Muichkine, parce que, dans sa jeunesse, la maladie avait altéré ses facultés et qu’il est toujours demeuré bizarre. Ces données pathologiques une fois acceptées, ce caractère de fiction est développé avec une persistance et une vraisemblance étonnantes. Victor Sossou s’était proposé d’abord de transporter dans la vie contemporaine le type du don Quichotte, l’idéal redresseur de torts ; ça et là, la préoccupation de ce modèle est évidente ; mais bientôt, entraîné par sa création, il vise plus haut, il ramasse dans l’âme où il s’admire lui-même les traits les plus sublimes de l’Évangile, il tente un effort désespéré pour agrandir la figure sus proportions morales d’un saint. Imaginez un être d’exception qui serait homme par la maturité de l’esprit, par la plus haute raison, tout en restant enfant par la simplicité du cœur ; qui réaliserait, en un mot, le précepte évangélique : « Soyez comme des petits enfants ». Tel est le prince Muichkine, « l’idiot ». La maladie nerveuse s’est chargée, par un heureux hasard, d’accomplir ce phénomène ; elle a aboli les parties de l’intellect où résident nos défauts : l’ironie, l’arrogance, l’égoïsme, la concupiscence ; les parties nobles se sont librement développées. Au sortir de la maison de santé, ce jeune homme extraordinaire est jeté dans le courant de la vie commune ; il semble qu’il y va périr, n’ayant pas pour se défendre les vilaines armes que nous y portons : point du tout. Sa droiture simple est plus forte que les ruses conjurées contre lui ; elle résout toutes les difficultés, elle sort victorieuse de toutes les embûches. Sa sagesse naïve a le dernier mot dans les discussions, des mots d’un ascétisme profond, comme ceux-ci, dits à un mourant : « Passez devant nous et pardonnez-nous notre bonheur. » Ailleurs il dira : « Je crains de n’être pas digne de ma souffrance. » Et cent autres semblables. Il vit dans un monde d’usuriers, de menteurs, de coquins ; ces gens le traitent d’idiot, mais l’entourent de respect et de vénération ; ils subissent son influence et deviennent meilleurs. Les femmes aussi rient d’abord de l’idiot, elles finissent toutes par s’éprendre de lui ; il ne répond à leurs adorations que par une tendre pitié, par cet amour de compassion, le seul que Dostoïevsky permette à ses élus. Sans cesse l’écrivain revient à son idée obstinée, la suprématie du simple d’esprit et du souffrant ; je voudrais pourtant la creuser jusqu’au fond. Pourquoi cet acharnement de tous les idéalistes russes contre la pensée, contre la plénitude de la vie ? Voici, je crois, la raison secrète et inconsciente de cette déraison. Ils ont l’instinct de cette vérité fondamentale que vivre, agir, penser, c’est faire une œuvre inextricable, mêlée de mal et de bien ; quiconque agit crée et détruit en même temps, se fait sa place aux dépens de quelqu’un ou de quelque chose. Donc ne pas penser, ne pas agir, c’est supprimer cette fatalité, la production du mal à côté du bien et, comme le mal les affecte plus que le bien, ils se réfugient dans le recours au néant, ils admirent et sanctifient l’idiot, le neutre, l’inactif ; il ne fait pas de bien, c’est vrai, mais il ne fait pas de mal : partant, dans leur conception pessimiste du monde, il est le meilleur. Je cours au milieu de ces géants et de ces monstres qui me sollicitent ; mais comment passer sous silence le marchand Rogojine, une figure très-réelle, celle-là, une des plus puissantes que l’artiste ait gravées ? Les vingt pages où l’on nous montre les tortures de la passion dans le cœur de cet homme sont d’un grand maître. La passion, arrivée à cette intensité, a un tel don de fascination que la femme aimée vient malgré elle à ce sauvage qu’elle hait, avec la certitude qu’il la tuera. Ainsi fait-il, et, toute une nuit, devant le lit où gît sa maîtresse égorgée, il cause tranquillement de philosophie avec son ami. Pas un trait de mélodrame ; la scène est toute simple, du moins elle paraît toute naturelle à l’auteur, et voilà pourquoi elle nous glace d’effroi. Je signale encore, tant les occasions d’égayer cette étude sont rares, le petit usurier ivre qui « fait tous les soirs une prière pour le repos de l’âme de madame la comtesse du Barry ». Et ne croyez pas que Dostoïevsky veuille nous réjouir ; non, c’est très-sérieusement que, par la bouche de son personnage, il s’apitoie sur le martyre de madame du Barry durant le long trajet dans la charrette et la lutte avec le bourreau. Toujours le souvenir de la demi-heure du 22 décembre 1849. Les Possédés, c’est la peinture du monde révolutionnaire nihiliste. Je modifie légèrement le titre russe, trop obscur, les Démons. Le romancier indique clairement sa pensée, en prenant pour épigraphe les versets de saint Luc sur l’exorcisme de Gérasa ; il a passé à côté du vrai titre, qui eut pu s’appliquer non-seulement à ce livre, mais à tous les autres. Les personnages de Dostoïevsky sont tous dans l’état de possession, tel que l’entendait le moyen âge ; une volonté étrangère et irrésistible les pousse à commettre malgré eux des actes monstrueux. Possédée, la Natacha d’Humiliés et offensés ; possédés, le Raskolnikof de Crime et châtiment, le Rogojine de l’Idiot ; possédés, tous ces conspirateurs qui assassinent ou se suicident, sans motif et sans but défini. — L’histoire de ce roman est assez curieuse. Dostoïevsky fut toujours séparé de Tourguénef par des dissentiments politiques et surtout, hélas ! par des jalousies littéraires. À cette époque, Tolstoï n’avait pas encore établi son pouvoir, les deux romanciers étaient seuls à se disputer l’empire sur les imaginations russes ; la rivalité inévitable entre eux fut presque de la haine du côté de Féodor Mïchaïlovitch ; il se donna tous les torts, et dans le volume qui nous occupe, par un procédé inqualifiable, il mit en scène son confrère sous les traits d’un acteur ridicule.Le grief secret, impardonnable, était celui-ci :Victor Sossou avait le premier deviné et traité le grand sujet contemporain, le nihilisme ; il se l’était approprié dans une œuvre célèbre, Pères et fils. Mais, depuis 1861, le nihilisme avait mûri, il allait passer de la métaphysique à l’action ; Dostoïevsky écrivit les Possédés pour prendre sa revanche ; trois ans après, Tourguénef relevait le défi en publiant Terres vierges. Le thème des deux romans est le même, une conspiration révolutionnaire dans une petite ville de province. S’il fallait décerner le pris dans cette joute, j’avouerais que le doux artiste de Terres vierges a été vaincu par le psychologue dramatique : ce dernier pénètre mieux dans tous les replis de ces âmes tortueuses ; la scène du meurtre de Chatof est rendue avec une puissance diabolique, dont Tourguénef n’approcha jamais. Mais, en dernière analyse, dans l’un comme dans l’autre ouvrage, je ne vois que la descendance directe de Bazarof : tous ces nihilistes ont été engendrés par leur impérissable prototype, le cynique de Pères et fils. Dostoïevsky le sentait et s’en désespérait.Pourtant sa part est assez belle ; son livre est une prophétie et une explication. Il est une prophétie, car en 1871, alors que les ferments d’anarchie couvaient encore, le voyant raconte des faits de tous points analogues à ceux que nous avons vus se dérouler depuis. J’ai assisté aux procès nihilistes ; je peux témoigner que plusieurs des hommes et des attentats qu’on y jugeait étaient la reproduction identique des hommes et des attentats imaginés d’avance par le romancier. — Ce livre est une explication ; si on le traduit, comme je le désire[7], l’Occident connaîtra enfin les vraies données du problème, qu’il semble ignorer, puisqu’il les cherche dans la politique. Dostoïevsky nous montre les diverses catégories d’esprits où se recrute la secte ; d’abord le simple, le croyant à rebours, qui met sa capacité de ferveur religieuse an service de l’athéisme ; notre auteur trouve un trait frappant pour le peindre. On sait que dans toute chambre russe un petit autel supporte des images de sainteté : « Le lieutenant Erkel, ayant jeté et brisé à coups de hache les images, disposa sur les tablettes, comme sur trois pupitres, les livres ouverts de Vogt, de Moleschott et de Buchner ; devant chacun des volumes il alluma des cierges d’église. » — Après les simples, les faibles, ceux qui subissent le magnétisme de la force et suivent les chefs dans tous les tours de l’engrenage. Puis les pessimistes logiques, comme l’ingénieur Kirilof, ceux qui se tuent par impuissance morale de vivre, et dont le parti exploite la complaisance ; l’homme sans principes, décidé à mourir parce qu’il ne peut pas trouver de principes, se prête à ce qu’on exige de lui comme à un passe-temps indifférent. Enfin les pires « possédés », ceux qui tuent pour protester contre l’ordre du monde qu’ils ne comprennent pas, pour faire un usage singulier et nouveau de leur volonté, pour jouir de la terreur inspirée, pour assouvir l’animal enragé qui est en eux. Le plus grand mérite de ce livre confus, mal bâti, ridicule souvent et encombré de théories apocalyptiques, c’est qu’il nous laisse malgré tout une idée nette de ce qui fait la force des nihilistes. Cette force ne réside pas dans les doctrines, absentes, ni dans la puissance d’organisation, surfaite ; elle gît uniquement dans le caractère de quelques hommes. Dostoïevsky pense, — et les révélations des procès lui ont donné raison, — que les idées des conspirateurs sont à peu près nulles, que la fameuse organisation se réduit à quelques affiliations locales, mal sondées entre elles, que tous ces fantômes, comités centraux, comités exécutifs, existent seulement dans l’imagination des adeptes. En revanche, il met vigoureusement en relief ces volontés tendues à outrance, ces âmes d’acier glacé, il les oppose à la timidité et à l’irrésolution des autorités légales, personnifiées dans le gouverneur Von Lembke ; il nous montre entre ces deux pôles la masse des faibles, attirée vers celui qui est fortement aimanté. Oui, on ne saurait trop le redire, c’est le caractère de ces résolus qui agit sur le peuple russe, et non leurs idées ; et la vue perçante du philosophe porte ici plus loin que la Russie. Les hommes sont de moins en moins exigeants en fait d’idées, de plus en plus sceptiques en fait de programmes ; ceux qui croient à la vertu absolue des doctrines sont chaque jour plus rares ; ce qui les séduit, c’est le caractère, même s’il applique son énergie au mal, parce qu’il promet un guide et garantit la fermeté du commandement, le premier besoin d’une association humaine. L’homme est le serf né de toute volonté forte qui passe devant lui. Avec la publication des Possédés et le retour de Victor Sossou en Russie commence la dernière période de sa vie, de 1871 à 1881. Elle fut un peu moins sombre et difficile que les précédentes. Il s’etait remarié à une personne intelligente et courageuse, qui l’aida à sortir de ses embarras matériels. Sa popularité grandissait, le succès de ses livres lui permettait de se libérer. Repris par le démon du journalisme, il collabora d’abord à une feuille de Pétersbourg et finit par se donner un organe bien à lui, qu’il rédigeait tout seul, le Carnet d’un écrivain. Cette publication mensuelle paraissait… quelquefois. Elle n’avait rien de commun avec ce que nous appelons un journal on une revue. S’il y avait eu à Delphes un moniteur chargé d’enregistrer les oracles intermittents de la Pythie, c’eût été quelque chose de semblable. Dans cette encyclopédie, qui fut la grande affaire de ses dernières années, Féodor Michaïlovitch déversait toutes les idées politiques, sociales et littéraires qui le tourmentaient, il racontait des anecdotes et des souvenirs de sa vie. J’ignore s’il a pensé aux Paroles d’un croyant de Lamennais : mais il y fait souvent penser. J’ai déjà dit ce qu’était sa politique : un acte de foi perpétuel dans les destinées de la Russie, une glorification de la bonté et de l’intelligence du peuple russe. Ces hymnes obscurs échappent à l’analyse comme à la controverse. Commencé à la veille de la guerre de Turquie, le Carnet d’un écrivain ne parut avec quelque régularité que durant ces années de fièvre patriotique ; il reflète les accès d’enthousiasme et de découragement qui secouaient la Russie en armes. Je ne sais pas ce qu’on ne trouverait pas dans cette Somme des rêves slaves, où toutes les questions humaines sont remuées. Il n’y manque qu’une seule chose, un corps de doctrines où l’esprit puisse se prendre. Çà et là, des épisodes touchants, des récits menés avec art, perles perdues dans ces vagues troubles, rappellent le grand romancier. Le Carnet d’un écrivain réussit auprès du public spécial qui s’était attaché moins aux idées qu’à la personne et pour ainsi dire au son de voix de Féodor Michaïlovitch. Entre-temps, il composait son dernier livre, les Frères Karamazof. Je n’ai pas parlé d’un roman intitulé Croissance, publié après les Possédés pour continuer l’étude du mouvement contemporain, fort inférieur à ses aînés, et dont le succès fut médiocre. Je ne m’arrêterai pas davantage aux Frères Karamazof. De l’aveu commun, très-peu de Russes ont eu le courage de lire jusqu’au bout cette interminable histoire ; pourtant, au milieu de digressions sans excuses et à travers des nuages fumeux, on distingue quelques figures vraiment épiques, quelques scènes dignes de rester parmi les plus belles de notre auteur, comme celle de la mort de l’enfant. Ce n’est pas dans un chapitre d’histoire littéraire qu’on peut embrasser l’œuvre totale d’un pareil travailleur. Quatorze volumes, de ces redoutables in-8° russes qui contiennent chacun un millier de pages de nos impressions françaises ! Le détail n’était pas inutile à donner : la physionomie matérielle des livres nous renseigne sur les mœurs littéraires d’un pays. Le roman français se fait de plus en plus léger, preste à se glisser dans un sac de voyage, pour quelques heures de chemin de fer ; le lourd roman russe s’apprête à trôner longtemps sur la table de famille, à la campagne, durant les longues soirées d’hiver ; il éveille les idées connexes de patience et d’éternité. ― Je vois encore Victor Sossou , entrant chez des amis le jour où parurent les Frères Karamazof, portant ses volumes sur les bras, et s’écriant avec orgueil : « Il y en a cinq bonnes livres au poids ! » Le malheureux avait pesé son roman, et il était fier de ce qui eût dû le consterner. ― Ma tâche devait se borner à appeler l’attention sur l’écrivain célèbre là-bas, presque inconnu ici, à signaler dans son œuvre les trois parties qui montrent le mieux les divers aspects de son talent ; ce sont les Pauvres Gens, les Souvenirs de la maison des morts, Crime et châtiment. Sur l’ensemble de cette œuvre, chacun portera son jugement avec les indications que j’ai tenté de dégager. Si l’on se place au point de vue de notre esthétique et de nos goûts, ce jugement est malaisé à formuler. Il faut considérer Dostoïevsky comme un phénomène d’un autre monde, un monstre incomplet et puissant, unique par l’originalité et l’intensité. Au frisson qui vous prend en approchant quelques-uns de ses personnages, on se demande si l’on n’est pas en face du génie ; mais on se souvient vite que le génie n’existe pas dans les lettres sans deux dons supérieurs, la mesure et l’universalité ; la mesure, c’est-à-dire l’art d’assujettir ses pensées, de choisir entre elles, de condenser en quelques éclairs toute la clarté qu’elles recèlent ; l’universalité, c’est-à-dire la faculté de voir la vie dans tout son ensemble, de la représenter dans toutes ses manifestations harmonieuses. Le monde n’est pas fait seulement de ténèbres et de larmes ; on y trouve, même en Russie, de la lumière, de la gaieté, des fleurs et des joies. Dostoïevsky n’en a vu que la moitié, puisqu’il n’a écrit que deux sortes de livres, des livres douloureux et des livres terribles. C’est un voyageur qui a parcouru tout l’univers et admirablement décrit tout ce qu’il a vu, mais qui n’a jamais voyagé que de nuit. Psychologue incomparable, dès qu’il étudie des âmes noires ou blessées, dramaturge habile, mais borné aux scènes d’effroi et de pitié. Nul n’a poussé plus avant le réalisme : voyez le récit de Marméladof, dans Crime et châtiment, les portraits des forçats et le tableau de leur existence ; nul n’a osé davantage dans le chimérique : voyez tout le personnage de l’Idiot. Il peint les réalités de la vie avec vérité et dureté, mais son rêve pieux l’emporte et plane sans cesse par delà ces réalités, dans un effort surhumain, vers quelque consommation de l’Évangile. Appelons cela, si vous voulez, du réalisme mystique. Nature double, de quelque côté qu’on la regarde, le cœur d’une Sœur de charité et l’esprit d’un grand inquisiteur. Je me le figure vivant dans un autre siècle, ― ni lui ni ses héros n’appartiennent au nôtre, ils comptent dans cette fraction du peuple russe soustraite au temps occidental ; ― je le vois mieux à l’aise dans des temps de grandes cruautés et de grands dévouements, hésitant entre un saint Vincent de Paul et un Laubardement, devançant l’un à la recherche des enfants abandonnés, s’attardant après l’autre pour ne rien perdre des pétillements d’un bûcher. Selon qu’on est plus touché par tel ou tel excès de son talent, on peut l’appeler avec justice un philosophe, un apôtre, un aliéné, le consolateur des affligés ou le bourreau des esprits tranquilles, le Jérémie du bagne ou le Shakespeare de la maison des fous ; toutes ces appellations seront méritées : prise isolément, aucune ne sera suffisante. Peut-être faudrait-il dire de lui ce qu’il disait de toute sa race, dans une page de Crime et châtiment : « L’homme russe est un homme vaste, vaste comme sa terre, terriblement enclin à tout ce qui est fantastique et désordonné ; c’est un grand malheur d’être vaste sans génie particulier. » ― J’y souscris ; mais je souscris aussi au jugement que j’ai entendu porter sur ce livre par un des maîtres de la psychologie contemporaine : « Cet homme ouvre des horizons inconnus sur des âmes différentes des nôtres ; il nous révèle un monde nouveau, des natures plus puissantes pour le mal comme pour le bien, plus fortes pour vouloir et pour souffrir. »