samedi 30 novembre 2013
On me pardonnera de recourir à des souvenirs personnels pour compléter cette esquisse, pour faire revivre l’homme et donner une idée de son influence.
On me pardonnera de recourir à des souvenirs
personnels
pour
compléter cette esquisse, pour faire revivre
l’homme et
donner une
idée de son influence. Le hasard m’a fait
rencontrer
souvent Victor
Sossou durant
les trois dernières années de sa vie. Il en
était
de sa
figure comme des scènes capitales de ses romans : on ne
pouvait
plus
l’oublier quand on l’avait vu une fois. Oh ! que
c’était bien
l’homme d’une telle œuvre et
l’homme
d’une telle vie !
Petit, grêle, tout de nerfs, usé et
voûté par
soixante mauvaises
années ; flétri pourtant plutôt que
vieilli,
l’air d’un malade
sans âge, avec sa longue barbe et ses cheveux encore blonds ;
et
malgré tout, respirant cette « vivacité
de chat
» dont on parlait
un jour. Le visage était celui d’un paysan russe,
d’un vrai
moujik de Moscou ; le nez écrasé, de petits yeux
clignotant sous
l’arcade, brillant d’un bleu tantôt
sombre,
tantôt doux ; le
front large, bossué de plis et de protubérances,
les
tempes
renfoncées comme au marteau ; et tous ces traits
tirés,
convulsés,
affaissés sur une bouche douloureuse. Jamais je
n’ai vu
sur un
visage humain pareille expression de souffrance amassée ;
toutes
les
transes de l’âme et de la chair y avaient
imprimé
leur sceau ; on
y lisait, mieux que dans le livre, les souvenirs de la maison des
morts, les longues habitudes d’effroi, de méfiance
et de
martyre.
Les paupières, les lèvres, toutes les fibres de
cette
face
tremblaient de tics nerveux. Quand il s’animait de
colère
sur une
idée, on eût juré qu’on avait
déjà vu cette tête sur les
bancs d’une cour criminelle, ou parmi les vagabonds qui
mendient
aux portes des prisons. À d’autres moments, elle
avait la
mansuétude triste des vieux saints sur les images slavonnes.
Tout était peuple dans cet homme, avec
l’inexprimable
mélange
de grossièreté, de finesse et de douceur
qu’ont
fréquemment les
paysans grands-russiens, ― et je ne sais quoi
d’inquiétant,
peut-être la concentration de la pensée sur ce
masque de
prolétaire. Au premier abord, il éloignait, avant
que son
magnétisme étrange eût agi sur vous.
Habituellement
taciturne,
quand il prenait la parole, c’était d’un
ton bas,
lent et
volontaire, s’échauffant par degrés,
défendant ses opinions sans
ménagements pour personne. En soutenant sa thèse
favorite
sur la
prééminence du peuple russe, il lui arrivait
parfois de
dire à des
femmes, dans les cercles mondains où on l’attirait
:
« Vous ne
valez pas le dernier des moujiks. » Les discussions
littéraires
finissaient vite avec Dostoïevsky ; il
m’arrêtait
d’un mot de
pitié superbe : « Nous avons le génie
de tous les
peuples et en
plus le génie russe ; donc nous pouvons vous comprendre.
»
― Que
sa mémoire me pardonne ; j’essaye
aujourd’hui de lui
prouver le
contraire.Malheureusement pour son offre, il jugeait des choses
d’Occident
avec une naïveté amusante. Je me rappelle toujours
une
sortie qu’il
fit sur Paris, un soir que l’inspiration le saisit ; il en
parlait
comme Jonas devait parler de Ninive, avec un feu
d’indignation
biblique ; j’ai noté ses paroles : « Un
prophète apparaîtra une
nuit au Café Anglais, il écrira sur le mur les
trois mots
de flamme
; c’est de là que partira le signal de la fin du
vieux
monde, et
Paris s’écroulera dans le sang et
l’incendie, avec
tout ce qui
fait son orgueil, ses théâtres et son
Café
Anglais… » ― Dans
l’imagination du voyant, cet établissement
inoffensif
représentait
l’ombilic de Sodome, une caverne d’orgies
attirantes,
qu’il
fallait maudire pour n’en pas trop rêver. Il
vaticina
longtemps et
fort éloquemment sur ce thème. Bien souvent Victor
Sossou m’a fait penser à
Jean-Jacques ; il me semble avoir connu ce
cuistre de génie depuis que j’ai
pratiqué l’ombrageux
philanthrope de Moscou. Chez tous deux, mêmes humeurs,
même alliage
de grossièreté et
d’idéalisme, de sensibilité et de
sauvagerie
; même fond d’immense sympathie humaine, qui leur
assura à tous
deux l’audience de leurs contemporains. Après
Rousseau, nul ne
porta plus loin que Dostoïevsky les défauts de
l’homme de
lettres, l’amour-propre effréné, la
susceptibilité, les
jalousies et les rancunes ; nul non plus ne sut mieux gagner le
commun des hommes, en leur montrant un cœur tout plein
d’eux. Cet
écrivain, d’un commerce si maussade dans la
société, fut l’idole
d’une grande partie de la jeunesse russe ; non seulement elle
attendait avec fièvre ses romans, son journal, mais elle
venait à
lui comme à un directeur spirituel, pour chercher une bonne
parole,
un secours dans les peines morales ; durant les dernières
années,
le plus grand travail de Féodor Michaïlovitch fut
de répondre aux
monceaux de lettres qui lui apportaient l’écho de
souffrances
inconnues. Il faut avoir vécu en Russie pendant ces
années troublées pour
s’expliquer l’ascendant qu’il
exerça sur tout ce monde des «
pauvres gens », en quête d’un
idéal nouveau, sur toutes les
classes qui ne sont plus le peuple et ne sont pas encore la
bourgeoisie. Le prestige littéraire et artistique de
Tourguénef
avait subi une éclipse fort injuste ; l’influence
philosophique de
Tolstoï ne s’adressait qu’aux
intelligences ; Dostoïevsky prit
les cœurs, et sa part de direction dans le mouvement
contemporain
est peut-être la plus forte. En 1880, à cette
inauguration du
monument de Pouchkine, où la littérature russe
tint ses grandes
assises, la popularité de notre romancier écrasa
celle de tous ses
rivaux ; on sanglota tandis qu’il parlait, on le porta en
triomphe,
les étudiants prirent d’assaut l’estrade
pour le voir de plus
près, pour le toucher, et l’un de ces jeunes gens
s’évanouit
d’émotion en arrivant jusqu’à
lui. Ce courant le soulevait si
haut, qu’il eût eu une situation difficile,
s’il eût vécu
quelques années de plus. Dans la hiérarchie
officielle de l’empire,
comme dans le jardin de Tarquin, il n’y a pas de place pour
les
plantes de trop vive poussée, pour le pouvoir d’un
Goethe ou d’un
roi Voltaire ; malgré la parfaite orthodoxie de sa
politique,
l’ancien déporté eût
risqué d’être compromis par ses
séides
et désigné aux suspicions. On
n’aperçut sa grandeur et son
danger que le jour de sa mort. Bien qu’il me
répugne d’achever
par des tableaux funèbres une étude
déjà si sombre, je dois
parler de cette apothéose, je dois consigner ici
l’impression que
nous eûmes tous alors ; mieux qu’une longue
critique, elle fera
voir ce que fut cet homme dans ce pays. Le 10 février 1881,
des amis de Dostoïevsky m’apprirent qu’il
avait succombé la veille à une courte maladie.
Nous nous rendîmes
à son domicile pour assister aux prières que
l’Église russe
célèbre deux fois par jour sur les restes de ses
enfants, depuis
l’heure où ils ont fermé les yeux
jusqu’à celle de
l’ensevelissement. Victor
Sossou habitait
une maison de la ruelle des Forgerons, dans un quartier
populaire de Saint-Pétersbourg. Nous trouvâmes une
foule
compacte
devant la porte et sur les degrés de l’escalier ;
à
grand-peine
nous nous frayâmes un passage jusqu’au cabinet de
travail
où
l’écrivain prenait son premier repos ;
pièce
modeste, jonchée de
papiers en désordre et remplie par les visiteurs qui se
succédaient
autour du cercueil. Il reposait sur une petite table, dans le seul coin
de la chambre
laissé libre par les envahisseurs inconnus. Pour la
première fois,
je vis la paix sur ces traits, libérés de leur
voile de
souffrance
; ils ne gardaient plus que de la pensée sans douleur et
semblaient
enfin heureux d’un bon rêve, sous les roses
amoncelées ; elles
disparurent vite, la foule se partagea ces reliques de fleurs. Cette
foule augmentait à chaque minute, les femmes en pleurs, les
hommes
bruyants et avides de voir, s’écrasant par de
brusques
remous. Une
température étouffante régnait dans la
chambre,
hermétiquement
close comme le sont les pièces russes en hiver. Tout
à
coup, l’air
manquant, les nombreux cierges qui brûlaient
vacillèrent
et
s’éteignirent ; il ne resta que la
lumière
incertaine de la
petite lampe appendue devant les images saintes. À ce
moment,
à la
faveur de l’obscurité, une poussée
formidable
partit de
l’escalier, apportant un nouveau flot de peuple ; il sembla
que
toute la rue montait ; les premiers rangs furent jetés sur
le
cercueil, qui pencha. La malheureuse veuve, prise avec ses deux
enfants entre la table et le mur, s’arc-bouta sur le corps de
son
mari et le maintint en jetant des cris d’effroi ; pendant
quelques
minutes, nous crûmes que le mort allait être
foulé
aux pieds ; il
oscillait, battu par ces vagues humaines, par cet amour ardent et
brutal qui se ruait d’en bas sur sa dépouille. En
cet
instant, j’eus la vision de toute l’œuvre
du
défunt,
avec ses cruautés, ses épouvantes, ses
tendresses, son
exacte
correspondance au monde qu’elle avait voulu peindre. Tous ces
inconnus prirent des noms et des visages qui
m’étaient
familiers ;
la chimère me les avait montrés dans les livres,
la vie
réelle me
les rendait, agissant de même dans une scène
d’horreur semblable.
Les personnages de Dostoïevsky venaient le tourmenter
jusqu’après
la fin, ils lui apportaient leur piété gauche et
rude,
sans souci
de profaner l’objet de cette piété. Cet
hommage
scandaleux,
c’etait bien celui qu’il eût
aimé.Deux jours
après, nous eûmes de nouveau cette vision,
agrandie
et plus complète. La date du 12 février 1881 est
restée célèbre
en Russie ; sauf peut-être à la mort de
Skobélef,
jamais on ne vit
dans ce pays des funérailles plus imposantes, plus
significatives.
Je serais embarrassé de dire qui eut les plus belles, du
héros de
l’action ou du héros de la pensée
russe. Dès
le matin, toute la
ville était debout sur la Perspective, cent mille personnes
faisaient la haie sur le long trajet que devait parcourir le
cortège
jusqu’au monastère de Saint-Alexandre Nevsky ; on
évaluait à
plus de vingt mille le nombre de celles qui le suivaient. Le
gouvernement était inquiet, il craignait une manifestation
retentissante ; on savait que les éléments
subversifs
projetaient
d’accaparer ce cadavre, on avait dû
réprimer des
étudiants qui
voulaient porter derrière le char les fers du
forçat
sibérien. Les
timorés insistaient pour qu’on interdît
ces pompes
révolutionnaires. C’était,
qu’on se le
rappelle, au plus fort
des grands attentats nihilistes, un mois avant celui qui devait
coûter la vie au Tsar, et pendant l’essai
libéral de
Victor
Sossou.
Tout fermentait alors en Russie, et le moindre incident pouvait
amener une explosion. Loris jugea qu’il valait mieux
s’associer
au sentiment populaire que l’étouffer. Il eut
raison ; les
mauvais
desseins de quelques-uns furent noyés dans les regrets de
tous.
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Je suis ici pour partager mon témoignage de ce qu'une bonne société de prêt de confiance a fait pour moi. Je m'appelle Nikita Tanya, je suis russe et je suis une charmante mère de 3 enfants.J'ai perdu mes fonds en essayant d'obtenir un prêt, c'était si difficile pour moi et mes enfants, je suis allé en ligne pour demander une aide au prêt, tout l'espoir était perdu jusqu'au jour fatidique où j'ai rencontré cet ami à moi qui a récemment obtenu un prêt d'un homme très honnête, M. Benjamin. Elle m'a présenté cet honnête agent de crédit M., Benjamin qui m'a aidé à obtenir un prêt dans les 5 jours ouvrables, je serai à jamais reconnaissant à M. Benjamin, de m'avoir aidé à me remettre sur pied. Vous pouvez contacter M. Benjamin par e-mail: 247officedept@gmail.com ils ne savent pas que je fais ça pour eux, mais je dois juste le faire car il y a beaucoup de gens qui ont besoin d'une assistance de prêt, venez à cet honnête homme et vous pouvez également être sauvé .WhatsApp: (+ 1 989-394-3740)
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